Bonjour,
Je suis une fille et j’ai sept ans. Je m’appelle Zahra. Je demande aux Nations Unies d’ouvrir la route. Ma mère et mon père ne sont pas en sécurité. Nous avons perdu notre vie entière et, aujourd’hui, nous sommes bloqués à cette frontière. Je demande à quiconque recevant cette lettre de la lire. Les vies de mon frère et de ma sœur sont aussi en danger.
Moi, Zahra Rezai, Afghane de Ghazni, Qarabaghi
Suheila est une femme aux yeux bleu-vert dont le visage est encadré par un foulard violet. Tandis qu’elle explique pourquoi sa fille Zahra a écrit cette lettre, elle baisse les yeux. « En Afghanistan, en tant que femme, je n’avais pas le droit d’aller à l’école. Dans la famille, Zahra est la seule qui sait lire et écrire. »
Zahra a accouru et m’a tendu une petite enveloppe, un bout de papier plié en deux et fermé par du ruban adhésif sur les côtés. Le dessus est également recouvert de ruban adhésif. Je bataille pour l’ouvrir tandis qu’elle m’observe avec excitation avec, sur le visage, un large sourire où manque une dent.
« Ici, c’est comme une prison. La plupart du temps, j’essaie de garder mes enfants à l’intérieur pour les empêcher de se battre avec les autres ou d’attraper des maladies », me dit Suheila. « Notre famille est arrivée ici juste au moment où la Serbie fermait la frontière. Depuis, chaque jour, nous nous éveillons en espérant que l’on nous autorisera à poursuivre notre chemin. »
Suheila parle de Tabanovce, une petite localité située au nord de l’ex-République yougoslave de Macédoine, à moins d’un kilomètre de la frontière serbe. Les réfugiés et les migrants venus de Syrie, d’Iraq et d’Afghanistan avaient l’habitude de passer par Tabanovce pour se rendre de Grèce en Serbie et au-delà. Aujourd’hui, ce qui était auparavant un centre de transit est en train de se transformer de fait en camp de réfugiés.
Zahra fait partie des cinq cents enfants qui se sont retrouvés bloqués en ex-République yougoslave de Macédoine à la suite de plusieurs mesures de restriction ponctuelles aux frontières et qui ont eu pour conséquence la fermeture de ce qu’on appelle la route des Balkans, le 7 mars dernier. Les premières personnes à avoir été empêchées de poursuivre leur périple ont été les Afghans qui se trouvent depuis déjà sept semaines à Tabanovce.
Je ne peux rien dire de plus à Zahra et à sa mère sur l’ouverture des frontières. Elles ont entendu parler de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. La Grèce renverra un certain nombre de personnes en Turquie, d’autres pourront faire une demande dans le cadre du programme de réinstallation à l’intérieur de l’Union européenne. Mais l’ex-République yougoslave de Macédoine ne fait pas partie de l’UE et n’a pas de frontière avec la Turquie. Ces personnes vont se trouver ici pour un certain temps.
« Nous sommes partis pour que nos enfants soient en sécurité et puissent aller à l’école », dit Suhaila, à voix basse. « J’ai toujours été complexée par le fait de ne pas savoir lire et écrire. Je ne veux pas que mes enfants grandissent de la même manière. »
Tandis que j’écris cela, je regarde la lettre de Zahra. Je l’ai sortie de nombreuses fois de son enveloppe et j’ai essayé de lire le texte écrit au stylo en caractères étrangers. J’en suis incapable. Moi aussi, je ne sais pas lire. Je me demande ce qui se serait passé si je n’avais pas eu un traducteur avec moi. Je l’aurais peut-être oubliée. Il nous est facile d’ignorer les choses que nous ne comprenons pas. Ou les gens.
Des enfants comme Zahra ont connu tant de situations d’insécurité et d’épreuves dans leurs courtes vies. Ils ont grandi plus vite que n’importe quel enfant pourrait le faire et endossé des responsabilités trop lourdes pour leur âge. Nous devons nous aussi prendre la responsabilité de faire en sorte qu’ils ne continuent pas à être négligés.
Par Claudia Liute
Source: UNICEF