Peut-on pleurer devant ses enfants ?

sam, 07/20/2019 - 11:47 -- siteadmin

Chez nombre de parents, les larmes montent mais ne coulent pas. Ces derniers mettent un point d'honneur à ne pas se laisser aller devant leurs enfants. L'expression de sa fragilité peut-elle être perturbante ou faut-il au contraire laisser parler ses émotions ? Les réponses de trois experts.

Pour certains, la question ne s'est jamais posée. Pleurer devant ses enfants ? Et pourquoi pas ! L'histoire n'est pourtant pas simple pour tout le monde. Pas si simple de se montrer vulnérable, ébranlable, face à celui ou celle que le parent - solide - est censé protéger. Pas simple non plus d'exprimer ses émotions quand on ne nous l'a pas appris. Pas évident enfin de s'affranchir de la peur d'inquiéter et de perturber sa progéniture. Sauf qu'en plus d'être salvateur, l'acte est humain. «On pleure quand on ne peut pas contenir l'émotion, quand on ne peut pas mettre de mots à la place du ressenti», rappelle Philippe Scialom, psychologue clinicien.

L’émotion, un apprentissage à part entière

Chacun peut imaginer qu'à la question : «Peut-on pleurer devant ses enfants ?», la réponse est oui. En soi personne ne l'interdit ; au contraire, cette expression de sentiment est même conseillée. «J'invite tous les parents à le faire et à être, de manière générale, des personnes émotionnelles, insiste Véronique Guérin, psychosociologue et auteure de À quoi sert l’autorité ? . Les émotions apportent du lien, de la chaleur, du doux. L’enfant se construit par mimétisme. Face à des adultes froids, coupés de leurs émotions, le petit le sera aussi.» Joie, tristesse, colère, peur… Les émotions doivent être apprises durant l’éducation, au même titre que le respect, la politesse ou le partage. «Développer la sensibilité, être empathique vis-à-vis de l’autre est très important. L’enfant doit saisir l’éventail des émotions, pouvoir les décrypter», ajoute Etty Buzyn, psychologue clinicienne et psychanalyste, auteure du livre Quand les mères craquent .

Une meilleure gestion des émotions à l’âge adulte

L’enjeu est de taille. Être habitué, dès le plus jeune âge, à cohabiter sainement avec elles, à s’en faire des alliées, à les accueillir, permet plus tard d’avoir les codes, les mots à mettre sur chaque émotion. L'enfant pourra ainsi mieux gérer et mieux vivre les difficultés de la vie : «Les relations amoureuses à l’adolescence, l’amitié, ressentir de la colère, se positionner par rapport à elle», illustre Véronique Guérin. Refoulées, les émotions risquent également de sortir et d’exploser avec une grande violence.

Il y a des âges auxquels les enfants sont particulièrement réceptifs, à l’instar des tout-petits : «Ils sont très sensibles aux émotions des parents et à la façon dont ils les gèrent. La période œdipienne, entre 4 et 6 ans, est aussi décisive. C’est le moment où l’identification aux parents est très forte, l’enfant construit ses mécanismes de défense qui le protègent», souligne Philippe Scialom.

En pratique, les obstacles ne manquent pas. «Certains parents pensent que parler de ses émotions, dire sa tristesse, sa souffrance, est dangereux. Alors qu’il n’y a aucun danger», rassure le psychologue Philippe Scialom. La société ne nous faciliterait pas la tâche. «Dans notre culture, être triste est associé à la fragilité, poursuit la psychosociologue Véronique Guérin. Et pendant longtemps, une croyance très cartésienne en France était de considérer que la pensée devait dominer les émotions.» Et que dire de la crainte d’inquiéter son enfant en affichant son mal-être ? «C’est très troublant de voir le parent s’effondrer, confirme Etty Buzyn. L’enfant a besoin d’une sécurité, d’une base familiale. Dès qu’elle paraît ébranlée, lui-même se sent fragilisé. Mais c’est humain, si l’on est désespéré par un deuil, un accident… On ne peut pas l’empêcher. Mais si l’on met des mots dessus, l'enfant sera soulagé.»

Verbaliser pour dédramatiser

Avec des mots qui correspondent à l’âge de l’enfant, «sans lui mentir mais sans en rajouter», indique Véronique Guérin, on lui explique ce qui se passe pour qu’il comprenne de quoi il s’agit. «On peut mettre des mots sur le mal-être sans forcément donner d’explications précises si l’on n’y arrive pas, dans le cas d’un deuil, par exemple. On peut simplement dire "Maman ou Papa est triste ou a des soucis mais je t’expliquerai plus tard, je te donnerai des détails quand tu seras plus grand". Et cela peut même être l’occasion de parler globalement de la perte», conseille Philippe Scialom. Selon Etty Buzyn, le plus important pour les plus jeunes est de les déculpabiliser en disant, par exemple, «ce n’est pas de ta faute, je ne suis pas fâché après toi». «L’enfant se sent dépositaire. À 2 ans, il est totalement dépendant de l’atmosphère familiale», indique la psychologue.

Sans mots posés sur l’émotion, l’enfant a tout le loisir d’imaginer, de dramatiser. «Le fait de verbaliser montre qu'il n’est pas interdit pour l’enfant de savoir de quoi il retourne. Dans le cas contraire, la situation est pire. La vie fantasmatique des enfants est très puissante jusqu’à l’adolescence ; sans informations, la situation peut être très inquiétante», précise le psychologue Philippe Scialom. C'est vrai dès le plus jeune âge. «Une expérience filmée montrait que, lorsque l’on expose à des bébés de 7 à 9 mois, le visage de leur mère, ils rient, sont à l’aise, bougent tous leurs membres. Quand on leur montre soudainement le visage de leur mère fermé, sans la moindre expression, l’enfant essaye de bouger, de mobiliser sa mère. Il est complètement décontenancé et se met alors à pleurer ; il est en miroir. Ce miroir qu’est la mère dure très longtemps dans la vie d’un enfant. Si elle est morose, absente, et ne verbalise pas ses émotions, l’enfant déprime, culpabilise», prévient la psychologue Etty Buzyn. De quoi se laisser aller, pour son bien, et celui de son enfant.

Par Ophélie Ostermann

Source : Le Figaro

http://madame.lefigaro.fr/bien-etre/peut-on-pleurer-devant-ses-enfants-070719-165957

 

 

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