Non, votre enfant n'est pas hypocondriaque

lun, 10/24/2016 - 10:32 -- siteadmin

Nos enfants, déjà accablés de maux modernes qu'ils n'ont pas réclamés (hyperactivité et autres), ne méritent pas le qualificatif d'hypocondriaque.

"J'ai mal au ventre". Cela fait maintenant trois semaines que mon enfant me répète cette litanie du dimanche soir. Les médecins sont pourtant formels : il n'est pas malade. Mais alors de quoi souffre t'il ?

Depuis plusieurs siècles le mot d'hypocondrie traverse la médecine et la littérature. D'Hippocrate à Molière les hypocondriaques sont connus pour leurs maux étranges dont personne ne détermine l'origine. Étymologiquement ce terme désigne même une zone impalpable, non localisable par les médecins. Toutefois persiste la certitude de la souffrance extrême et inaltérable de ces sujets en demande de reconnaissance plus que de traitement.

Les classifications scientifiques psychiatriques actuelles (DSM et CIM) sont bien en peine pour dessiner le contour de ce mal qui se situe à la frontière de différentes catégories. Il se caractérise par une croyance persistante du sujet d'être atteint d'une maladie qui l'amène à reconsidérer chaque sensation corporelle comme le signe indubitable d'un trouble profond qui le dévore.

Il faut dire qu'en pratique clinique la plupart des hypocondriaques vivent leur corps comme étranger, parfois même comme hostile.

La psychanalyse apporte un autre regard sur ces tableaux toujours contemporains en soulignant que les pulsions qui nous habitent et se réveillent à l'adolescence nous laissent toujours comme un sentiment d'étrangeté à nous même. À ce titre nous sommes tous un peu hypocondriaques par moment.

Il faut aussi rappeler que certains malades sévères, souffrant de psychose, ont un rapport différent à leur corps qui leur apparaît comme étrange et menaçant.

Pour nos enfants il s'agit en fait bien d'autre chose, l'hypocondrie ne survenant que plus tard dans l'existence. Dès la naissance, le corps de l'enfant est investi par ses parents et se constitue au croisement d'un miroir et des mots de l'adulte qui viennent le nommer et lui donner sens. Ainsi, l'enfant qui ne peut plus parler, soit parce qu'un traumatisme personnel ou familial traverse son quotidien, soit parce que les liens familiaux sont chargés d'angoisse, va formuler sa souffrance par des maux/mots somatiques.

Évidemment, ces propos ne dispensent pas de l'examen médical réitéré chaque fois avec la même conscience, car certaines maladies graves ne se manifestent que par de petits symptômes initiaux.

Mais il est fondamental de prendre en compte, dans sa singularité, la parole que l'enfant nous adresse ainsi et qui dévoile souvent des angoisses enfantines qui, non traitées, causent bien d'autres soucis au fil du temps. C'est pourquoi, savoir lui proposer un espace de parole avec un professionnel lorsque ses plaintes deviennent récurrentes, c'est d'abord l'autoriser à faire de sa voix son messager mais aussi le libérer du poids de nos représentations adultomorphes qui siéent si mal au monde de l'enfance.

C'est alors que s'érigent nos craintes parentales : "quoi une thérapie pour mon enfant, mais il n'est pas fou !", "c'est juste un caprice, ça lui passera", "je n'ai pas besoin qu'on m'explique quel parent je dois être"...

Si toutes ces inquiétudes sont légitimes, elles sont bien souvent infondées. Voir un "psy" ne signifie ni une sentence fatidique, ni la critique de toutes nos actions éducatives passées. L'effet thérapeutique de ce geste, en ce qu'il autorise l'enfant à parler de lui, à vivre des moments émotionnels difficiles quelque soit son âge, à formuler ses questions subjectives, est parfois ressenti dès les premières séances.

Néanmoins, il nous faut aussi nommer une des résistances principales à cette démarche en ce qu'il est parfois plus supportable pour une famille qu'un enfant souffre de colique plutôt que de parler du secret qui ne peut se formuler pour plusieurs générations.

Il faut donc retenir que nos enfants, déjà accablés de maux modernes qu'ils n'ont pas réclamés (hyperactivité et autres), ne méritent pas le qualificatif d'hypocondriaque. Leur parole est toujours à respecter et l'on est souvent bien surpris d'entendre tout ce qu'ils ont à nous dire et à nous apprendre!


Par Lola Forgeot - Pedopsychiatre à la Fondation Vallée

Source : Le Huffington Post

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