Abandon d'un animal, l'impact sur l'enfant

mer, 08/03/2016 - 12:38 -- siteadmin

Découvrir que ses parents sont capables d’un tel acte est une déflagration psychique pour l’enfant. Voici pourquoi. Avec le psychanalyste Jean-Pierre Winter.

Que représente l’animal de la maison pour un enfant ?

Jean-Pierre Winter : Si l’animal l’accompagne depuis sa naissance, l’enfant en fait un double jusqu’à 4,5 ans. Car la représentation que l’enfant a de lui-même se confond avec celle de l’animal, comme elle se confond avec ses jouets. Jusqu’à cet âge, l’enfant est « animiste » : il se met sur le même plan que les objets et les animaux. Ainsi, il s’occupera du chien ou du chat comme il pense que l’on s’occupe de lui. Ce qui arrive à son animal lui arrive à lui, et vice-versa. Puis « l’humanisation » se fait par distinction progressive, avec un statut flou pour l’animal qui reste, dans la psyché de l’enfant, très ambivalent et surtout, fonctions des moments.

 Comment cela traduit-il, dans le cadre d’une maltraitance à l’égard de l’animal ?

Jean-Pierre Winter : L’enfant peut réagir - à retardement d’ailleurs - à une attitude brutale des parents à l’égard du chien, du chat, et même du poisson rouge : soit par de la tristesse, en intériorisant ce qu’il suppose être celle de l’animal ; soit par une brutalité ou une insolence à l’égard de ses parents. Et que ces derniers peuvent ne pas s’expliquer quand ils n’en ont jamais usé avec leur enfant. Sauf que lui a été témoin d’insultes, de hurlements, voire de violences à l’égard de l’animal et qu’il s’identifie à la manière dont celui-ci est traité. On est beaucoup plus sensible, dans la construction de son psychisme, à ce qu’on fait aux autres qu’à nous mêmes. Les enfants réagissent avec une grande violence à l’injustice faite sur autrui (animal, frère ou sœur, même s’il n’est pas démonstratif avec eux) alors que cette injustice à leur égard leur paraît moins grave.

Quand ses parents abandonnent l’animal de la famille, comment l’enfant peut-il le vivre ?

Jean-Pierre Winter : L’interprétation de ce qu’éprouve l’enfant – surtout quand il n’exprime rien, faute le plus souvent d’être entendu par des parents qui vont trouver toutes sortes de raisons, d’excuses, minimiser les conséquences, voire culpabiliser l’enfant (« tu n’avais qu’à t’en occuper », etc.) - dépend de beaucoup de facteurs. Mais ce qu’il va découvrir, c’est un questionnement sur ce qu’est un lien pour ses parents : « sont-ils capables d’avoir de vrais liens ? » ; « et avec moi ? » Puisqu’ils font croire, de septembre à juillet, que cet animal est accepté et, du jour au lendemain, ils vont s’en débarrasser. Alors que lui, il a un vrai lien avec l’animal, et qui le sécurise dans la plupart des cas. Avec un chien, par exemple, il n’y a pas d’ambivalence de la part de l’animal. L’enfant peut même se permettre d’être agressif avec lui, sans conséquences. C’est très rare dans la vie. L’enfant perçoit bien que le chien ne va pas le tromper, le punir, lui mentir ou l’agresser. L’abandon résonne donc sur cette dimension :comment est-il possible que l’on puisse se séparer (dans des conditions qui sont souvent, de surcroît, extrêmement cruelles pour l’animal), d’un être a qui on a parlé, qui avait un nom ? C’est-à-dire qui est entré dans l’ordre symbolique : il fait partie des structures élémentaires de la parenté. Et le torturer, même sous la forme de l’abandon, devient du sadisme.

 Que va-t-il se passer pour l’enfant ?

Jean-Pierre Winter : Il s’agit pour lui de savoir, puisque l’animal fait partie de cette chaîne symbolique, à quelle place il est. Va surgir tout ce à quoi l’animal est lié dans cette chaîne : son histoire dans la famille (à travers toutes sortes de questions : comment on l’a eu, pourquoi un chien et pas un chat, par exemple, est-ce que papa et maman était d’accord entre eux ? Est-ce que l’un l’aimait et l’autre pas ? Est-ce qu’ils vont se réjouir maintenant qu’il n’est plus là ?) les moments où il nous a aidé à surmonter une épreuve, où il nous a fait rire, sa joie de nous retrouver le soir ou à notre réveil, etc. Comme pour la mort d’un être proche, un deuil va s’ouvrir, mais qui va rester indicible puisque l’enfant ne pourra pas être entendu.

En effet, on s’aperçoit que beaucoup d’enfants ayant vécu ce traumatisme n’en parlent pas, même devenus adultes.  C’est une douleur qui n’a pas de mots.

Jean-Pierre Winter : Le manque de mots s’appuie inconsciemment, en partie, sur le fait que l’animal ne parle pas. Ce dont les parents vont jouer d’ailleurs, à leur insu ou pas, puisque du coup, on peut faire ce qu’on veut à l’animal, dire n’importe quoi à l’enfant, se justifier n’importe comment. Ou ne rien dire du tout. Dès lors que l'enfant ne peut pas en parler (déni de deuil), un vide symbolique s’installe. Car ce qu’on ne peut pas exprimer se transforme en symptômes, s’enkyste comme un poison qui attend de se libérer, sous forme de maladie, de pathologie de la relation (abandonnisme, peur du lien, vie passée à attendre un retour impossible…)… Ou de parole dans le meilleur des cas, si l’enfant a la chance de pouvoir trouver un interlocuteur. La résonance va dépendre de ce qui a été raconté autour de cet abandon. Le discours de la la société a aussi un impact. Il met au défi de choisir où il n’y a pas lieu de choisir : où tu es du côté des hommes, ou bien tu es du côté des bêtes. Et si tu es du côté des bêtes, c’est que tu es bête !

On peut remarquer que le parent ne devient que très rarement cet interlocuteur. Parce qu’on doit en passer avec eux par un règlement de comptes ?

Jean-Pierre Winter : Le règlement de compte avec les parents ne peut pas avoir lieu. Parce que l’enfant tend toujours à vouloir protéger ses parents même quand ils les a blessé.

Source : femme actuelle

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