Décryptage : Qu'est-ce que la famine ?

Alors que le monde entier s'inquiète de l'augmentation alarmante de la faim dans les communautés touchées par les conflits et que l'on parle d'une intensification de l'insécurité alimentaire pouvant conduire à la famine, nous avons cherché à savoir comment et quand la faim est qualifiée de famine.

Alors que le dernier rapport du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) sur la sécurité alimentaire dans la bande de Gaza depuis décembre vient de paraitre, l'Economiste en chef du Programme alimentaire mondial (PAM), Arif Husain, a expliqué à ONU Info le processus d’évaluation de la situation dans l’enclave ravagée par la guerre depuis octobre.

Quel est le seuil de la famine ?

La famine est un terme technique qui fait référence à une population confrontée à une malnutrition généralisée et à des décès liés à la faim en raison d'un manque d'accès à la nourriture. 

« Nous disons qu'il y a famine lorsque trois conditions sont réunies dans une zone géographique spécifique, qu'il s'agisse d'une ville, d'un village, d'une cité, ou même d'un pays », explique M. Husain.

Au moins 20% de la population de cette zone est confrontée à des niveaux extrêmes de faim ;

30% des enfants du même endroit sont amaigris ou trop maigres pour leur taille ; et

Le taux de mortalité a doublé par rapport à la moyenne, dépassant deux décès pour 10.000 habitants par jour pour les adultes et quatre décès pour 10.000 habitants par jour pour les enfants.

« Vous pouvez clairement voir que, d'une certaine manière, la famine est l'aveu d'un échec collectif », a-t-il déclaré. « Nous devrions agir bien avant la famine, afin que les gens ne meurent pas de faim, que les enfants ne soient pas émaciés et que les gens ne meurent pas de causes liées à la faim ».

Comment la faim est-elle surveillée ?

Les famines d'aujourd'hui sont différentes de celles des années 1970 ou 1980, lorsque la sécheresse était la principale cause de famine en Ethiopie et dans d'autres pays, a expliqué M. Husain à ONU Info, ajoutant qu'il y a quelques années, lorsqu'une famine survenait, « nous pouvions dire : 'Je suis désolé. Je ne savais pas. Si j'avais su, j'aurais fait quelque chose' ».

« Aujourd'hui, nous voyons les crises en temps réel et nous ne pouvons donc pas dire que nous ne savions pas », a-t-il ajouté. « La responsabilité est beaucoup plus grande aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été auparavant ».

L'insécurité alimentaire liée au climat est désormais étroitement surveillée grâce à un système de suivi détaillé utilisé par les agences humanitaires internationales partout où elles travaillent, et aujourd'hui, les famines ou les risques de développement d'une famine sont en grande partie dus à des conflits, comme on l'a vu au Soudan du Sud, au Yémen et maintenant dans le Territoire palestinien occupé.

Au XXIe siècle, les famines liées au climat ont été en grande partie évitées grâce à un outil innovant de suivi de la faim aiguë, mis au point lors de la crise en Somalie en 2004 par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et désormais utilisé par les agences humanitaires du monde entier.

Cette initiative s'appelle le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, ou IPC.

Qu'est-ce que l'IPC ?

L'IPC est une initiative multipartenaires innovante visant à améliorer l'analyse et la prise de décision en matière de sécurité alimentaire et de nutrition.

La classification et l'approche analytique de l'IPC permettent aux gouvernements, aux agences des Nations Unies, aux organisations non gouvernementales, à la société civile et à d'autres acteurs concernés de travailler ensemble pour déterminer la gravité et l'ampleur des situations d'insécurité alimentaire aiguë et chronique et de malnutrition aiguë dans un pays, conformément aux normes internationalement reconnues.

Développée à l'origine en 2004 pour être utilisée en Somalie par la FAO, l'initiative s'est étendue à plus de 30 pays. Un partenariat mondial de 19 organisations dirige le développement et la mise en œuvre de l'IPC aux niveaux mondial, régional et national.

En plus de 20 ans d'application, l'IPC s'est révélé être l'une des meilleures pratiques dans le domaine de la sécurité alimentaire mondiale et un modèle de collaboration dans plus de 30 pays d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie.

L'IPC permet de suivre l'évolution de la faim, mais aussi de tirer la sonnette d'alarme en cas de malnutrition aiguë généralisée, avant qu'elle ne se transforme en une situation plus grave mettant la vie en danger.

Comment fonctionne l'IPC ?

L'IPC ne collecte pas lui-même de données. Les informations proviennent de ses partenaires humanitaires opérant sur le terrain.

Les informations peuvent porter sur la sécurité alimentaire, la nutrition, la mortalité et les moyens de subsistance des populations, ainsi que sur l'apport calorique, les stratégies d'adaptation utilisées pour trouver de la nourriture et la mesure des bras des enfants pour surveiller la malnutrition, connue sous le nom de circonférence médiane et supérieure du bras, ou MUAC (circonférence du bras entre le milieu et la partie supérieure du bras).

« La collecte de données ne s'arrête pas, même dans les zones de guerre », a déclaré M. Husain.

Dans les cas où les lieux sont inaccessibles, des enquêtes par téléphone portable sont menées pour obtenir des informations, et si cela n'est pas possible, des satellites peuvent générer des informations.

Les experts techniques des partenaires de l'IPC analysent un grand nombre de données pour mieux informer les décideurs qui peuvent répondre efficacement aux besoins sur le terrain, en vue d'éviter un scénario catastrophe.

Les experts de l'IPC se réunissent ensuite pour analyser les données et classer les populations en cinq catégories : la première phase correspond à un stress minime ou nul ; la deuxième phase correspond à un stress lié à la recherche de nourriture ; la troisième phase correspond à une crise alimentaire ; la quatrième phase correspond à une situation d'urgence ; et la cinquième phase est considérée comme une catastrophe ou une famine.

En fonction de la proportion de la population dans chacune des cinq phases, les zones géographiques se voient également attribuer une phase de gravité, présentée par différentes couleurs sur la carte de l'IPC, de la phase la moins grave à la plus grave (minimale, stress, crise, urgence et famine). 

Chacune de ces classifications des phases des zones géographiques a des implications importantes et distinctes sur le lieu et la manière d'intervenir au mieux, et influe donc sur les objectifs prioritaires de la réponse.

Comité d'examen de la famine

En cas de suspicion de famine, une étape supplémentaire est franchie : le comité d'examen de la famine de l'IPC est sollicité.

Composé d'experts mondialement reconnus dans leurs domaines, de la nutrition et de la santé à la sécurité alimentaire, le comité se réunit lorsque plus de 20% des personnes touchées sont en phase cinq de l'IPC, c'est-à-dire en situation de famine ou de catastrophe.

Le processus fondé sur le consensus exige que tous les partenaires s'entendent sur une conclusion que le comité d'examen de la famine vérifie.

Le comité se réunit et examine toutes les données et analyses fournies par les partenaires de l'IPC afin de déterminer si les conclusions sont crédibles et si les données justifient une classification de famine ou une classification de famine plausible. Les experts décrivent ensuite la situation actuelle et proposent des projections pour les trois ou six mois à venir, comme dans le rapport de l'IPC sur Gaza en décembre.

Comment les organisations humanitaires réagissent aux alertes à la faim

Les agences humanitaires utilisent ces précieuses classifications de l'IPC pour planifier et aider les populations à partir de la phase trois de la crise, dans le but spécifique d'éviter une famine.

« Ce que nous essayons de faire, c'est d'atteindre les gens, afin de ne jamais avoir à faire face à une situation de famine, ou à la phase cinq de l'IPC », a déclaré M. Husain. « Nous travaillons très, très dur au niveau de la crise et certainement au niveau de l'urgence pour sauver la vie des gens afin qu'ils n'atteignent pas la phase 5 de l'IPC, qui est classée comme une famine ».

Pour ce faire, il faut augmenter l'aide alimentaire.

« Lorsque nous le faisons, nous pouvons sauver des vies », a-t-il déclaré. 

Objectif final : la prévention

Alors que les besoins restent élevés, selon les estimations du PAM, 309 millions de personnes dans 72 pays sont confrontées à un niveau de faim correspondant à une situation de crise ou pire. 

Pour l'Economiste en chef du PAM, l'objectif final est la prévention.

« Si nous voulons éviter ces famines, le moyen le plus simple serait d'arrêter les conflits », a dit M. Husain, « mais si cela doit prendre du temps, alors il est de notre responsabilité de nourrir les innocents, de fournir de l'eau et des produits de première nécessité comme des médicaments aux personnes qui sont bloquées dans ces endroits ou qui peuvent être déplacées de ces endroits ».

Rapport de l'IPC sur Gaza : la famine est « imminente »

Le nouveau comité d'examen de la famine de l'IPC a publié le 18 mars son dernier rapport sur l'aggravation de la situation à Gaza, où les équipes de l'ONU sur le terrain ont depuis longtemps mis en garde contre une famine imminente dans le contexte de l'offensive militaire israélienne en cours à Gaza, déclenchée par les attaques du 7 octobre du Hamas contre Israël.

L'invasion terrestre d'Israël a tué plus de 31.000 habitants de Gaza et, parallèlement aux restrictions imposées à l'aide entrant dans l'enclave bombardée et assiégée, a provoqué une faim généralisée et un nombre croissant de décès dus à la faim.

Depuis février 2024, l'ensemble de la population de Gaza, soit 2,2 millions de personnes, a été classée au niveau de crise de la phase 3 de l'IPC, voire pire, ce qui représente « la proportion la plus élevée de personnes confrontées à des niveaux élevés d'insécurité alimentaire aiguë que l'initiative IPC ait jamais classée pour une zone ou un pays donné », a déclaré le groupe.

Les agences des Nations Unies et leurs partenaires ont lancé un premier appel peu après l'invasion israélienne d'octobre, à la suite de quoi le comité d'examen de la famine de l'IPC a publié son premier rapport sur Gaza à la fin de l'année 2023. Les facteurs clés de l'insécurité alimentaire persistant, un deuxième rapport a été produit en mars 2024. 

Voici quelques points saillants du dernier rapport :

Les conditions nécessaires pour prévenir la famine ne sont pas réunies et les dernières données confirment que la famine est imminente dans les gouvernorats du nord et qu'elle devrait se produire entre la mi-mars et mai 2024.

88 % des habitants de Gaza sont aujourd'hui confrontés à des niveaux d'insécurité alimentaire classés au niveau 4 de l'IPC ou à un niveau supérieur, ce qui correspond à un niveau d'urgence ou pire.

Parmi cette population, environ 50 % (1,1 million de personnes) se trouvent dans une situation de catastrophe, ou phase 5 de l'IPC.

Le niveau de malnutrition aiguë devrait dépasser le seuil de famine (30%) dans le nord de Gaza, avec une forte augmentation de la prévalence de l'émaciation, de 0,8 à 15%, sur plusieurs mois.

La tendance à la hausse de la mortalité non traumatique devrait également s'accélérer, entraînant le franchissement imminent du seuil de famine d'ici mai 2024. 

La vulnérabilité nutritionnelle accrue des enfants, des femmes enceintes et allaitantes et des personnes âgées est particulièrement préoccupante.

Les projections pour la période de mars à juillet indiquent que 100% de la population de Gaza, soit 2,23 millions de personnes, sera confrontée à des niveaux de crise d'insécurité alimentaire.

Source: ONU Info

https://news.un.org/fr/story/2024/03/1144096

 

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