En Somalie, 100 mères s’engagent à ne jamais faire subir de mutilations génitales à leurs filles

lun, 02/07/2022 - 13:36 -- siteadmin

Les crises humanitaires comme celle de la Covid-19 ont mis à mal les efforts de prévention des mutilations génitales féminines (MGF) et deux millions de filles supplémentaires sont désormais à risque de subir ces pratiques au cours des dix prochaines année , a alerté le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) à l’occasion de la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des MGF.

L’UNFPA signale que des progrès ont été effectués en trente ans, avec un tiers de filles en moins soumises à ces pratiques néfastes, mais que leur rythme « doit être dix fois plus rapide si l’on veut atteindre zéro mutilation génitale féminine en 2030 ». 

L’agence de l’ONU chargée de la santé sexuelle et reproductive estime qu’un budget de 2,4 milliards de dollars sera nécessaire pour atteindre cet objectif dans les 31 pays prioritaires et prône les méthodes qui ont déjà fait leurs preuves.Or seuls 275 millions devraient être effectivement dépensés, laissant un manque de financement de près de 2,1 milliards. 

Cette année la Journée a ainsi été placée sous le thème « Accélérer l’investissement pour éliminer les mutilations génitales féminines ». 

Le Fonds appelle à « continuer sur la lancée » des progrès et « agir de toute urgence », mettant en exergue des exemples concrets comme celui de Halima en Somalie, que l’on vous propose de lire ci-dessous.

Lorsque Halima avait huit ans, elle a subi des mutilations génitales féminines (MGF) des mains de sa propre mère, une accoucheuse traditionnelle. 

« L’opération a été douloureuse, ça s’est fait sans anesthésie. J’ai saigné pendant des jours », se souvient-elle. 

« Je suis restée alité pendant plus de trois mois et uriner est devenu problématique », partage-t-elle.

À l’adolescence, l’écoulement du sang pendant ses règles était difficile. Jeune mariée, les rapports sexuels avec son mari étaient douloureux. Lorsqu’elle est devenue mère, son accouchement lui a causé des douleurs insoutenables, et le travail s’est éternisé plusieurs jours, mettant ses jours en danger. 

Malgré la souffrance qu’elle a subi, elle a laissé son aînée être excisée. 

« Ma fille a subi la sunna, une forme de MGF [[ablation partielle ou totale du clitoris], et elle a connu les mêmes douleurs que moi », raconte Halima. 

Elle a toutefois été insultée et sa fille accusée d’être « sale », parce qu’elle n’avait pas opté pour la « circoncision pharaonique » (ou infibulation, le rétrécissement par recouvrement de l’orifice vaginal) de sa fille.

Halima est aujourd’hui âgée de 50 ans et mère de cinq filles et cinq garçons.  Elle vit dans un camp pour personnes déplacées (PDIP) aux abords de la capitale somalienne, qui abrite 280 foyers ayant fui le village de Danunay, à 250 km de là, en proie à la violence de groupes insurgés. 

Elle est l’une des gardiennes du camp et a beaucoup d’influence au sein de sa communauté. À ce titre, elle était la personne idéale pour mettre fin à une pratique néfaste que tant sa fille comme elle ont dû endurer.

Des chiffres éloquents

Selon l’enquête de 2020 sur la santé et la démographie somaliennes, 99 % des Somaliennes âgées de 15 à 49 ans ont subi des mutilations génitales, pour la plupart entre l’âge de cinq et neuf ans. 

L’étude rapporte aussi que 72 % des femmes sont convaincues que c’est une exigence islamique, bien que plusieurs leaders religieux aient déclaré que l’islam condamne cette pratique. 

La pandémie de Covid-19 a accentué le risque pour les filles de subir des MGF, car elle a fortement perturbé les programmes de prévention et la fermeture des écoles a pu donner le sentiment aux parents que leurs filles pouvaient bénéficier de temps de guérison plus longs.

En 2020, l’UNFPA a permis à 52.225 femmes et filles somaliennes de bénéficier de services de protection, de prévention ou de soins en lien avec les MGF. Bien qu’aucune législation nationale n’interdise formellement ces pratiques, l’État de Puntland a voté l’an dernier une loi de Tolérance zéro envers les MGF. 

Une nouvelle voie à suivre

Dans le cadre de la campagne Dear Daughter (« Ma chère fille »), menée conjointement par l’UNFPA et la Fondation Ifrah, Halima et d’autres femmes influentes du camp ont pu être informées des effets délétères des mutilations génitales féminines. 

Halima a eu l’occasion de partager son expérience lors d’ateliers. 

« Tout au long de la formation, j’ai eu des flashbacks des conséquences dramatiques des MGF à différents moments de ma vie », explique-t-elle.

Il y a trois ans, une jeune fille du camp est morte des suites de MGF. 

Aujourd’hui, Halima mobilise la communauté « pour que cette tragédie ne se répète jamais ». 

Avec l’aide de la Campagne mondiale pour l’élimination des MGF, la fondation a distribué des émetteurs radio fournis par l’UNFPA à 100 foyers, pour que les résident·(e)·s du camp puissent écouter les campagnes de sensibilisation. 

« J’ai longtemps rêvé de pouvoir sauver les filles des souffrances et des douleurs évitables que j’ai endurées à cause des MGF », témoigne Ifrah Ahmed, qui a créé la fondation qui porte son nom. 

« Halima est la preuve que nous pouvons changer l’avenir de toutes les filles de Somalie », ajoute Ifrah.
La campagne, lancée en automne dernier, « donne de plus en plus de poids aux voix des femmes et des hommes qui veulent éliminer les MGF en Somaile », souligne Nkiru I. Igbokwe, une spécialiste de la violence basée sur le genre auprès de l’UNFPA en Somalie. 

« Elle cible les individus et communautés des zones rurales comme urbaines, qui mettent en place des initiatives extraordinaires au sein de leur sphère d’influence pour changer les choses en matière de MGF », explique Nkiru.

Les actions de Halima ne se limitent plus au sujet des mutilations génitales féminines. Elle encourage les femmes enceintes et allaitantes à se rendre dans des centres de santé et fait de la sensibilisation sur le thème de la violence sexuelle et basée sur le genre. Elle remarque que les membres de sa communauté, qui craignaient autrefois la stigmatisation en cas de viol et n’en parlaient donc pas, vont aujourd’hui demander de l’aide.

« Je ne veux pas que mes filles et d’autres jeunes filles aient à subir la douleur que nous avons connue », déclare-t-elle.

Grâce à sa position influente, près de 100 mères, dont la propre mère de Halima et d’autres accoucheuses traditionnelles, se sont engagées à ne plus pratiquer les MGF, ce qui permettra à près de 200 filles vivant dans le camp d’y échapper.

*Le prénom a été changé pour garantir l’anonymat et la protection. 

Source: ONU Info

https://news.un.org/fr/story/2022/02/1113722