C’est l’histoire d’une petite fille de deux ans et demi qui présente à 19h une hémiplégie, avec perte de la motricité de la moitié droite du corps. Les urgences ne sont appelées que trois heures plus tard.
La petite patiente est alors adressée aux urgences d’un hôpital possédant une unité neurovasculaire pour adultes. À 23h, on réalise un scanner cérébral sans injection de produit de contraste, qui révèle une anomalie (hyperdensité) sur l’artère cérébrale moyenne gauche ainsi qu’une ischémie (manque d’oxygénation) dans le territoire vascularisé par ce vaisseau. La fillette est transférée au CHU local en vue d’une thrombectomie, autrement dit l’ablation chirurgicale du caillot sanguin qui obstrue l’artère cérébrale.
L’enfant présente une hémiplégie droite, une paralysie faciale, des difficultés d’élocution. Son niveau de conscience est normal. Elle joue avec sa poupée mais ne se sert que son bras gauche. L’angiographie cérébrale montre une occlusion sur 15 mm de l’artère cérébrale moyenne sur son trajet initial (partie proximale) ainsi que l’existence à proximité d’une circulation de suppléance (vaisseaux collatéraux) permettant de compenser l’obstruction artérielle. Au vu des données de l’imagerie et malgré le temps important écoulé (plus de quatre heures) depuis la survenue des symptômes, la petite fille est prise en charge pour une thrombectomie mécanique sous anesthésie générale.
Cette intervention vise à capturer le caillot grâce à un dispositif médical spécifique appelé stent retriever, sorte de grille dépliable. La thrombectomie mécanique est généralement réalisée dans les six heures après les premiers symptômes d’un accident vasculaire cérébral (AVC).
Capturer mécaniquement le caillot
Sous contrôle radiologique, un cathéter est introduit au niveau du pli de l’aine dans l’artère fémorale. Il est ensuite dirigé dans l’artère carotide puis jusqu’à l’artère cérébrale de gros calibre obstruée. Le stent retriever est inséré à l’intérieur du cathéter jusqu’au lieu de l’obstruction et à travers le caillot sanguin. Tel un filet, ce dispositif se déploie dans l’artère et capture un petit caillot, ce qui permet de le retirer mécaniquement. Le stent est retiré lentement en entraînant le caillot. Le vaisseau est de nouveau complètement ouvert (recanalisé), ce qui permet au sang de revenir alimenter la région du cerveau touchée par l’AVC. Une recanalisation complète a été obtenue par deux passages du stent retriever. Il s’est écoulé neuf heures entre le début des symptômes et la recanalisation complète.
Une heure après la thrombectomie, la fillette retrouve partiellement la motricité du côté droit. Le lendemain, l’imagerie par résonance magnétique montre la présence d’un infarctus cérébral aigu, limité à la seule région correspondant à celle atteinte lors du scanner initial.
La petite patiente est porteuse d’une anomalie cardiaque congénitale. L’échographie prénatale avait montré la présence d’un ventricule unique donnant naissance à l’aorte et l’artère pulmonaire. La petite fille avait subi deux opérations du cœur en période néonatale puis à l’âge de 6 mois. Le tronc de l’artère pulmonaire avait été suturé. Le caillot (thrombus) responsable de l’actuel AVC était localisé dans le tronc borgne de l’artère pulmonaire, d’où il avait pu migrer dans la circulation artérielle cérébrale.
Après la thrombectomie, la petite fille a reçu un traitement anticoagulant. Le thrombus a alors progressivement disparu à l’échographie. L’enfant avait pratiquement totalement récupéré sur le plan neurologique à sa sortie de l’hôpital. Il ne subsistait alors qu’une minime asymétrie faciale. Trois mois après la thrombectomie mécanique, la jeune patiente se portait bien et ne présentait aucune séquelle neurologique. Son traitement anticoagulant était bien équilibré. La fillette était en attente d’une troisième intervention cardiaque programmée au moment où elle serait en école élémentaire.
Cette observation clinique, publiée en mai 2021 par des neurologues, neuroradiologues et anesthésistes du CHU de Toulouse dans la revue en ligne Frontiers in Neurology, montre qu’une thrombectomie est réalisable dans certains cas et que cette procédure peut être efficace chez de très jeunes enfants souffrant d’un AVC, même en cas de long délai entre le début des symptômes et la recanalisation. En effet, la recanalisation a été réalisée neuf heures après le début des symptômes, au-delà des six heures généralement recommandées pour les patients adultes.
À ce jour, dans la littérature médicale, on ne compte que deux patients âgés de moins de 4 ans traités par thrombectomie pour un accident vasculaire cérébral. Dans les deux cas, la cause de l’AVC était cardiaque. Cette procédure a été efficace chez ces enfants respectivement âgés de 2 et 3 ans. Un consensus multidisciplinaire (avis d’experts) existe pour ne proposer la thrombectomie en cas d’AVC pédiatrique qu’aux seuls enfants de plus de 4 ans.
Plus généralement, chez les enfants présentant un AVC ischémique due à une obstruction d’une artère de gros calibre, la thrombectomie est associée à un taux élevé de recanalisation et à un bon pronostic chez la plupart des enfants traités. On ne compte dans la littérature médicale qu’un petit nombre d’enfants de moins de 10 ans victimes d’AVC ischémique ayant subi une thrombectomie mécanique, procédure qui s’avère efficace.
Au vu des résultats d’études récentes ayant montré que cette procédure a révolutionné la prise en charge et le pronostic de l’AVC ischémique de l’adulte, plusieurs équipes internationales estiment qu’il est probable que l’âge d’éligibilité à la thrombectomie sera revu à la baisse chez l’enfant et qu’elle puisse être bénéfique jusqu’à 24 heures après le début des symptômes.
Un millier d’enfants victimes d’AVC chaque année en France
Le cas clinique rapporté par les médecins toulousains illustre le fait que l’enfant peut, comme l’adulte, être victime d’un accident vasculaire cérébral. Un AVC survient quand la circulation sanguine est interrompue dans un territoire cérébral. Le vaisseau sanguin intracérébral peut être bouché (occlusion) ou se rompre et saigner (hémorragie). L’absence de perfusion par du sang oxygéné dans cette région du cerveau conduit à la destruction du tissu cérébral affecté dans les minutes qui suivent l’interruption de la circulation.
L’AVC affecte un millier d’enfants chaque année en France. Cette pathologie survient avec une incidence de 3 à 8 pour 100 000 enfants par an. Elle est bien plus rare que dans la population adulte au sein de laquelle un AVC survient en France toutes les quatre minutes. L’AVC de l’enfant est dix fois plus rare que chez l’adulte.
Les spécialistes distinguent l’AVC prénatal, l’AVC périnatal lors des premiers 28 jours de vie et l’AVC de l’enfant qui survient pendant l’enfance, jusqu’à l’âge de 18 ans.
L’incidence des AVC chez l’enfant est bien inférieure à celle observée en période néonatale. En effet, l’incidence de l’AVC chez les nouveau-nés est supérieure à celle des enfants plus âgés (1 sur 3 500 naissances vivantes versus 1 à 2 pour 100 000 enfants par an).
AVC hémorragiques et ischémiques
L’AVC pédiatrique survient chez l’enfant âgé de 29 jours à 18 ans. Chez l’enfant, on compte environ le même nombre d’AVC hémorragiques (hémorragie cérébrale par rupture d’une structure vasculaire anormale) que d’AVC ischémiques (présence d’un infarctus cérébral dû à l’occlusion d’une artère cérébrale par un caillot sanguin).
L’incidence de l’AVC ischémique pédiatrique est de 1,3 à 1,6 pour 100 000 enfants par an dans les pays développés (États-Unis, Europe). La mortalité se situe à environ 5 %. Elle atteint jusqu’à 15 % en cas de récidive, chiffre qui dépend grandement de la cause de l’AVC.
Les conséquences neurologiques à long terme sont fréquentes. Une étude prospective internationale a montré qu’un tiers seulement des 305 enfants survivants d’un AVC ischémique ne présentait pas de déficit neurologique un an après l’accident et que près de la moitié souffrait de conséquences neurologiques modérées à sévères.
Un diagnostic tardif car trop peu envisagé
L’AVC de l’enfant représente environ 1 % de tous les AVC. Cette rareté explique que ce diagnostic est souvent peu envisagé par les spécialistes de l’urgence pédiatrique. En d’autres termes, l’AVC pédiatrique reste encore mal reconnu, d’autant que la majorité des accidents vasculaires cérébraux survient chez des enfants en bonne santé.
Le manque de connaissance du public et des médecins est le principal obstacle à un diagnostic rapide. De nombreuses études soulignent que les pédiatres ne sont pas familiarisés avec l’AVC ischémique.
La difficulté d’évoquer un diagnostic d’AVC allonge la phase précédant l’arrivée de l’enfant à l’hôpital. De nombreuses études ont montré qu’on observe fréquemment un délai plus long avant l’appel aux urgences pour un enfant que pour un adulte. Au total, ce délai retarde d’autant celui de l’accès à l’imagerie cérébrale permettant le diagnostic. Il entraîne donc un retard (supérieur à 24 heures) dans la prise en charge du jeune patient par l’équipe hospitalière. Lorsque le déficit neurologique est transitoire, il arrive souvent que les symptômes soient négligés, voire attribués à une autre pathologie que l’AVC.
Des signes évocateurs
Chez l’enfant, les symptômes évocateurs de l’AVC ou compatibles avec cet accident sont très variés. Il peut s’agir de troubles moteurs d’une moitié du corps, d’une paralysie d’un bras, d’une asymétrie faciale, de maux de tête (céphalées), de vomissements, de troubles de la conscience ou de l’équilibre.
Dans la plupart des cas, l’AVC ischémique se manifeste cliniquement par des symptômes de survenue soudaine, le plus souvent sous forme d’une hémiplégie, qui se traduit par un déficit moteur de la moitié du corps, associés ou non à des troubles de l’élocution ou du langage.
Certaines particularités méritent d’être soulignées. Chez les tout petits, l’aphasie (trouble de l’expression orale) peut être difficile à identifier. Les convulsions (crises d’épilepsie) sont fréquentes à la phase aiguë, et ce d’autant plus que l’enfant est jeune (âge inférieur à 6 ans). Elles n’excluent donc pas le diagnostic d’AVC.
Des maux de tête très intenses associés à une altération de la vigilance, voire à d’autres signes transitoires, doivent faire craindre la survenue d’une hémorragie cérébrale.
Dans la mesure où la survenue de séquelles dépend de la rapidité et de la qualité de la prise en charge initiale, il importe donc de sensibiliser et d’informer le public sur ces signes pouvant témoigner de la survenue d’un AVC chez l’enfant. Il importe, en outre, que les parents n’oublient pas de noter l’heure de survenue de ces signes. En effet, pour pouvoir être administrés, certains traitements doivent l’être dans les 4h30 suivant le début des symptômes (lorsqu’on envisage de dissoudre un caillot sanguin dans une artère cérébrale).
Nécessité d’un accès immédiat à l’IRM
À la phase aiguë (initiale) de l’AVC, l’IRM est l’examen de choix pour établir un diagnostic précoce, pour déterminer la nature des lésions du cerveau et fournir des renseignements précis sur l’état des vaisseaux cérébraux et de la circulation sanguine. L’IRM permet de décider de la meilleure prise en charge thérapeutique, discutée au cas par cas par une équipe multidisciplinaire.
L’IRM est l’examen à privilégier en première intention dans la mesure où la sensibilité du scanner est insuffisante. Des études ont montré que le scanner « manque » le diagnostic dans environ 43 à 83 % des cas. Cependant, du fait de son accessibilité 24h/24 et de sa simplicité d’utilisation, c’est le scanner qui est souvent réalisé en cas de survenue brutale d’un déficit neurologique, quel que soit l’état clinique de l’enfant.
On comprend donc l’intérêt, pour un enfant suspecté de présenter un AVC, de pouvoir disposer d’un accès immédiat à une IRM. On dispose aujourd’hui de protocoles d’IRM avec acquisition rapide d’images, ce qui permet d’établir rapidement le diagnostic d’accident vasculaire cérébral. Il n’est donc pas question de perdre du temps même durant la séance d’imagerie et donc de différer le traitement de la phase aiguë de l’AVC. Comme pour l’adulte, la survenue d’un AVC chez l’enfant représente en effet une course contre la montre, selon le fameux adage « time is brain » (littéralement, le temps c’est du cerveau).
La rapidité du diagnostic d’AVC est donc essentielle afin de minimiser le risque de survenue de séquelles. Trop souvent, comme dans le cas de l’observation clinique rapportée en tout début de ce billet de blog, l’alerte est donnée tardivement, ce qui retarde d’autant le diagnostic qui, lui, repose sur l’imagerie cérébrale à pratiquer de toute urgence.
Pathologie inflammatoire d’une artère cérébrale
Les causes d’un AVC sont multiples chez l’enfant. Une pathologie artérielle (artériopathie) est identifiée comme la cause principale de l’AVC ischémique pédiatrique chez 60 à 80 % d’enfants antérieurement en bonne santé. Dans 30 à 40 % des cas, ces enfants présentent ce que les neurologues appellent une artériopathie focale cérébrale.
On suspecte que cette maladie inflammatoire de la paroi artérielle, qui se manifeste par l’occlusion unilatérale de l’artère carotide interne distale et de ses branches de division, est déclenchée par des infections virales, notamment par la varicelle. On parle dans ce cas d’angéite post-varicelleuse. Le virus, qui appartient au groupe des Herpesvirus, reste à l’état latent dans des neurones du nerf trijumeau, qui assure la presque totalité de l’innervation sensitive de la face et innerve également l’artère carotide interne distale.
À l’imagerie cérébrale, on observe un rétrécissement irrégulier du segment ou d’une partie de l’artère et un trajet tortueux. Du fait de la nature inflammatoire de l’artériopathie cérébrale focale, qui expose l’enfant à des récidives dans un quart des cas dans les semaines ou mois qui suivent, le traitement consiste le plus souvent à l’administration de corticoïdes.
Dissection artérielle
Autre cause d’infarctus cérébral chez l’enfant : les dissections artérielles. Elles résultent du clivage de la paroi artérielle par un hématome. Cette pathologie peut être d’origine traumatique ou spontanée. L’artère touchée, qui amène le sang au cerveau, peut siéger dans le cou (artère cervicale) ou se situer à l’intérieur du crâne (artère carotide interne). L’hématome de la paroi de l’artère provoque une occlusion artérielle.
L’imagerie de la paroi artérielle est essentielle au diagnostic. L’examen de choix est l’IRM avec injection de produit de contraste qui permet de mettre en évidence l’hématome de la paroi artérielle. On parle alors d’artère « disséquée ».
Le traitement des dissections artérielles traumatiques consiste à prévenir la survenue d’un AVC ischémique. Le traitement antithrombotique, qui vise à empêcher la formation d’un caillot dans l’artère disséquée, comprend des anticoagulants ou des antiplaquettaires. Dans certains cas, un traitement chirurgical ou par voie endovasculaire est indiqué.
Drépanocytose
D’autres pathologies artérielles peuvent être responsables chez l’enfant d’une atteinte artérielle cérébrale à l’origine d’un AVC ischémique. C’est notamment le cas de la drépanocytose, maladie génétique due à la présence d’une hémoglobine anormale, qui provoque une déformation des globules rouges, elle-même à l’origine d’occlusions artérielles et notamment des petits vaisseaux cérébraux. On estime que 10 % des individus atteints de drépanocytose développent un infarctus cérébral avant l’âge de vingt ans, ce qui implique le nécessité d’un dépistage dès l’âge de deux ans.
Moya Moya
Une autre cause d’infarctus cérébral chez l’enfant est représentée par la maladie de Moya Moya. Cette pathologie chronique est caractérisée par un rétrécissement progressif (sténose) bilatérale d’une artère cérébrale de gros calibre (artère carotide distale) et de ses branches. Un réseau de vaisseaux sanguins de suppléance se développe alors. Ces vaisseaux collatéraux ont un aspect caractéristique sur les images de l’angiographie. Ils forment un nuage de fumée (Moya Moya en japonais). Cette pathologie a été décrite pour la première fois en 1957 au Japon.
Chez l’enfant, l’atteinte survient autour de l’âge de 5 ans. Bien que la cause et les mécanismes physiopathologiques de la maladie Moya Moya soient encore mal compris, il semble que des facteurs génétiques complexes, mais également environnementaux, jouent un rôle majeur. Cette maladie survient plus fréquemment dans les populations japonaise et coréenne. La prise en charge consiste en un traitement chirurgical, en particulier chez les enfants présentant des symptômes progressifs et récidivants.
Maladies cardiaques et autres causes
Les maladies cardiaques, notamment des malformations congénitales complexes (antérieurement diagnostiquées), sont fréquemment à l’origine d’un infarctus cérébral chez l’enfant. Ces cardiopathies représentent entre 20 et 30 % de l’ensemble des causes identifiées d’AVC ischémique à cet âge. Dans la plupart des cas, un caillot intra-cardiaque a migré dans la circulation cérébrale.
Un AVC de l’enfant peut enfin avoir une cause génétique ou métabolique, ou encore être dû une affection hématologique (maladie des globules rouges, troubles de la coagulation). Dans de rares cas, l’AVC peut être associé une maladie du tissu conjonctif qui prédispose à une dissection spontanée d’une artère cervicale.
Causes multifactorielles
On le voit, les causes de l’AVC sont à la fois complexes et multifactorielles. L’AVC ischémique résulte parfois de la conjonction de facteurs de risque génétiques et d’un traumatisme cervical. C’est le cas par exemple lorsqu’un enfant, auparavant en bonne santé, est victime d’une dissection d’une artère cervicale après avoir subi un traumatisme mineur pour avoir sauté sur un trampoline ou chuté sur le cou durant un cours de gymnastique.
Il arrive que l’on réalise alors que ce jeune patient présente une légère anomalie génétique du collagène, mise en évidence par des articulations hyper extensibles et une déformation en creux de la paroi antérieure du thorax (pectus excavatum). De même, on observe que cet enfant a récemment développé une infection respiratoire supérieure récente, responsable d’un taux circulant de médiateurs inflammatoires. Enfin, cet enfant peut présenter une thrombophilie héréditaire, c’est-à-dire une coagulation excessive qui fait que son sang coagule trop facilement, d’où un risque de thrombose.
Dans un tel scénario, qui conjugue plusieurs prédispositions génétiques et acquises, l’enfant peut développer à la suite d’un traumatisme mineur un AVC ischémique associé à une dissection d’une artère cervicale. Autrement dit, il peut se produire une rupture de la paroi d’une artère conduisant le flux sanguin au cerveau, avec formation locale d’un caillot qui finit par migrer et obstruer une artère cérébrale.
On comprend donc que des facteurs de risque acquis (le plus souvent une infection aiguë banale, un traumatisme) puissent agir à certains moments comme des déclencheurs d’un AVC chez un enfant porteur une prédisposition génétique.
Dans un nombre non négligeable de cas, il arrive qu’on ne parvienne pas à identifier une cause, ni même de facteurs de risque, à l’AVC ischémique. Dans d’autres cas, on identifie un ou plusieurs facteurs de risque mais sans trouver d’explication satisfaisante à la survenue de l’AVC.
Une des grandes différences entre les causes de l’AVC chez enfant et celles de l’adulte tient notamment au fait que l’athérome (plaques lipidiques dans les parois artérielles) n’existe pas à cet âge. En d’autres termes, l’athérosclérose ne fait pas partie des causes des AVC chez l’enfant.
Une approche thérapeutique pragmatique
Alors que pour l’AVC de l’adulte des recommandations internationales codifiées et validées (du fait d’un haut niveau de preuve) existent en matière de prise en charge, celle-ci n’est pas consensuelle et fait l’objet de controverses dans l’AVC de l’enfant. De ce fait, les équipes médicales doivent trouver une « voie médiane pragmatique », soulignent de nombreuses équipes françaises et internationales. Celle-ci consiste à parfois utiliser dans la prise de décision, de la même façon, les données de l’adulte pour l’enfant et, dans d’autres cas, à n’administrer que des traitements pédiatriques ayant fait leurs preuves.
Dissoudre le caillot
En cas d’AVC ischémique (dû à l’obstruction d’une artère cérébrale par un caillot), le traitement peut consister, au sein d’une unité de soins intensifs pédiatrique ou neurovasculaire, en l’administration d’un traitement intraveineux visant à dissoudre le caillot sanguin.
Cette modalité thérapeutique, appelée traitement fibrinolytique (ou encore fibrinolyse intraveineuse), doit être instaurée le plus tôt possible dans le délai de 4h30 suivant l’apparition des symptômes d’AVC et après avoir exclu une hémorragie intracrânienne par l’imagerie. On comprend que cette fenêtre temporelle représente un défi particulier dans l’AVC de l’enfant dans la mesure où l’on observe fréquemment un retard au diagnostic.
En 2018, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a autorisé, chez les adolescents âgés de 16 ans ou plus, l’utilisation de ce traitement intraveineux (par altéplase, encore dénommé r-tPA) dans le traitement de l’AVC ischémique à la phase aiguë.
La fibrinolyse intraveineuse est alors envisagée au cas par cas en concertation pluridisciplinaire entre pédiatre, neurologue et radiologue. Plusieurs études ont montré qu’une thrombolyse, réalisée en suivant les critères édictés pour l’adulte, est associée à une bonne sécurité d’emploi chez l’enfant.
Encore une fois, le frein majeur lors de la phase aiguë de l’AVC aux traitements de recanalisation visant à rétablir le flux sanguin dans l’artère obstruée est le manque de reconnaissance de l’AVC pédiatrique. Ceci a pour conséquence que l’accident est souvent non diagnostiqué dans la fenêtre des 4h30 qu’il convient de respecter dans le traitement fibrinolytique de l’AVC ischémique à la phase aiguë.
Thrombectomie mécanique
Un autre traitement est possible en cas d’obstruction d’une artère de gros calibre : la thrombectomie mécanique. Cette procédure consiste à extraire par voie chirurgicale un caillot (thrombus) responsable de l’occlusion artérielle d’une artère cérébrale de gros calibre, comme dans le cas de la fillette de deux ans dont j’ai relaté l’histoire clinique. Il a été montré que la thrombectomie mécanique peut, dans certaines situations précises définies par l’imagerie cérébrale, être réalisée dans un délai de 24 heures après l’apparition des symptômes. Le pronostic a été similaire à celui observé lorsque des enfants ont subi cette même procédure dans les 6 heures suivant l’accident.
Cela dit, plusieurs questions importantes restent encore sans réponse. Tout d’abord, quelle est la limite d’âge inférieure à partir de laquelle de jeunes enfants sont susceptibles de bénéficier d’une thrombectomie mécanique ? Cette procédure est-elle plus efficace cliniquement et moins risquée dans certaines causes d’AVC, sachant que ce geste comporte un risque accru d’endommager une artère dont la paroi est le siège d’une inflammation, d’aggraver une dissection artérielle ou de provoquer un spasme artériel (constriction du vaisseau) ?
En cas d’AVC hémorragique (dû à la rupture d’un vaisseau sanguin), on peut intervenir pour oblitérer l’anomalie responsable de l’AVC. Celle-ci peut être un anévrisme, autrement dit une dilatation localisée en forme de sac de la paroi d’une artère. Dans d’autres cas, plus fréquents, il s’agit d’une malformation artério-veineuse, composée d’une sorte de pelote de vaisseaux sanguins supplémentaires à l’intérieur du cerveau. L’imagerie cérébrale permet à la fois de révéler l’existence d’une anomalie vasculaire responsable de l’AVC et de traiter la cause de l’hémorragie et de prévenir sa récidive. On parle alors de neuroradiologie interventionnelle. Cette procédure consiste à occlure l’artère source de l’hémorragie. Les spécialistes parlent d’embolisation de la malformation artério-veineuse ou de l’anévrisme.
Anévrisme
La rupture d’anévrisme est exceptionnelle chez l’enfant. Cet événement est responsable d’une hémorragie méningée (encore appelée hémorragique sous-arachnoïdienne). Le traitement est discuté, au cas par cas, entre neurochirurgiens, pédiatres et neuroradiologues.
L’embolisation est le traitement réalisé chez l’enfant dans plus de 80 % des cas d’anévrismes intracrâniens. Cette procédure consiste à introduire, par voie fémorale, un cathéter que l’on remonte jusqu’au niveau de l’artère porteuse de l’anévrisme. Une fois en place, on introduit à l’intérieur du cathéter un microcathéter. Ce dernier renferme des spires de platine miniaturisées (coils en anglais) qui, une fois déployées, forment une sorte de cage s’étendant de part et d’autre des parois de l’anévrisme. D’autres coils métalliques, de diamètre encore plus petit, sont successivement introduits dans le sac anévrismal. Le principe est donc de dérouler à l’intérieur du sac anévrismal des spires de diamètre progressivement décroissant qui, en formant une pelote finit par totalement obstruer l’anévrisme. La pelote métallique est alors si dense que le produit de contraste n’opacifie plus l’anévrisme sur l’artériographie de contrôle. L’effet à court terme de l’embolisation par coils avoisine les 97 %. Un suivi à long terme par IRM est nécessaire.
Malformations artério-veineuses
Chez l’enfant, les malformations artério-veineuses cérébrales représentent la cause la plus fréquente des AVC hémorragiques. Responsables de près de la moitié des cas, elles résultent d’un défaut de développement localisé du réseau sanguin cérébral. Elles sont ainsi présentes à la naissance. Dans une zone du cerveau, les artères communiquent avec les veines, sans interposition de capillaires entre les deux structures vasculaires. Une communication anormale entre artère et veine s’établit par l’intermédiaire de nouveaux vaisseaux mal formés. L’hyperpression qui en résulte peut fragiliser la paroi d’une veine cérébrale.
Le traitement de la malformation artério-veineuse à la phase aiguë de l’AVC consiste généralement à introduire un cathéter via l’artère fémorale au pli de l’aine et le faire remonter jusqu’au niveau de la lésion à l’intérieur du cerveau. Le neuroradiologue interventionnel injecte alors un produit liquide (colle biologique) qui permet de colmater la lésion.
Un pronostic difficile à prédire
Chez l’enfant, les causes et l’épidémiologie diffèrent donc de ce que l’on observe chez l’adulte. Il en est de même concernant le pronostic.
La survenue d’un AVC pédiatrique a la particularité de survenir sur un cerveau en cours de maturation et de développement. En effet, à cet âge, certaines fonctions cérébrales peuvent être plus ou moins fixées, tandis que d’autres ne sont pas en encore acquises.
Il apparaît que les enfants victimes d’AVC ne récupèrent pas forcément mieux que les adultes. En revanche, à cet âge, la plasticité cérébrale, processus favorisant la capacité d’un jeune cerveau à se réorganiser après une atteinte lésionnelle, permet aux enfants de récupérer différemment. Ainsi, contrairement à l’adulte victime d’AVC, les enfants doivent souvent réapprendre les fonctions perdues tout en essayant d’acquérir de nouvelles capacités malgré la présence d’une lésion.
Ceci remet en cause l’idée communément admise selon laquelle la récupération est meilleure dans le cerveau de l’enfant que dans celui de l’adulte. Dans l’ensemble, il semble donc que ce point de vue est à la fois trompeur et trop simpliste. Cela dit, la plasticité cérébrale à un âge précoce est importante. Une réorganisation cérébrale structurelle et fonctionnelle pourrait donc expliquer, dans de rares cas, des récupérations inattendues qui contrastent avec l’étendue des lésions observées.
Le pronostic varie grandement selon le territoire cérébral lésé, le volume de l’atteinte cérébrale et la cause de l’AVC. Une étude internationale incluant 600 enfants victimes d’AVC ischémique a rapporté l’existence de séquelles chez 74 % d’entre eux. De fait, la plupart des études rapportent que 50 à 70 % des enfants suivis présentent des déficits neurologiques persistants ou de longue durée, des problèmes cognitifs, d’apprentissage, de développement ou des crises d’épilepsie.
Plus précisément, des troubles moteurs (faiblesse musculaire, altération du tonus musculaire, perte de dextérité, mauvaise coordination des mouvements) ont été décrits dans 50 à 80 % des cas. Pour autant, après un AVC ischémique unilatéral, près de 100 % des enfants sont de nouveau capables de marcher.
Par rapport à ce qu’on observe chez l’adulte, les enfants récupèrent, semble-t-il, moins bien au niveau des membres supérieurs. On peut observer un large spectre de difficultés d’élocution, de langage et de communication. Celles-ci peuvent être subtiles chez les plus jeunes enfants. Des répercussions de la lésion, notamment sur les plans moteur, intellectuel et comportemental, peuvent apparaître sur le tard, parfois après plusieurs années.
L’effet de l’âge sur le pronostic à long terme est variable. Des études ont montré que les enfants de moins de trois ans récupéraient moins bien dans tous les domaines, alors que le pronostic en terme de capacités langagières était meilleur lorsque l’AVC survenait à l’âge de 5 ans. Dans ce dernier cas, il est possible que, du fait de la plasticité cérébrale, une fonction cérébrale acquise, mais non encore définitivement fixée, puisse être assurée par l’hémisphère controlatéral.
Importance d’un suivi à long terme
Au moins les deux tiers des jeunes patients survivants souffriront à long terme de séquelles motrices, intellectuelles, langagières ou comportementales, ou encore d’épilepsie. Cette dernière est présente dans environ 20 à 30 % des cas, contre 5 à 10 % chez l’adulte. Les crises épileptiques sont focales (localisées) dans la plupart des cas.
Certains déficits, concernant notamment la mémoire, l’attention, des fonctions exécutives, peuvent se manifester plus tard au cours de la scolarité. D’où l’importance d’un suivi à long terme de ces enfants.
Une rééducation pluridisciplinaire, précoce, personnalisée
Les enfants victimes d’un AVC ont impérativement besoin de bénéficier d’un programme de rééducation spécifiquement adapté à leur âge et répondant aux besoins et projets de vie de l’enfant et de sa famille.
Cette rééducation doit débuter de façon très précoce et être pluridisciplinaire car elle se focalise sur de nombreux domaines (physique, langagier, cognitif, comportemental, psychosocial). Cette prise en charge rééducative implique donc de nombreux acteurs et notamment la participation du personnel médical et infirmier, de kinésithérapeutes, d’orthophonistes, de neuropsychologues ou psychologues cliniciens.
En résumé, on voit donc que même si l’AVC ischémique de l’enfant est rare en comparaison à l’AVC de l’adulte, son impact est proportionnellement plus élevé dans la mesure où il peut entraîner des conséquences physiques et cognitives, et avoir des répercussions sur les plans psychologique, comportemental et social tout au long de l’enfance, de la scolarité et perdurer à l’âge adulte.
Enfin, les parents d’un enfant victime d’un AVC présentent souvent des troubles psychologiques (anxiété, dépression, stress post-traumatique, culpabilité injustifiée). D’où la nécessité d’un soutien psychosocial également centré sur la famille du jeune patient.
Source: Le Monde