Le Français Vincent Tremeau a présenté l'an dernier au siège des Nations Unies, à New York, les portraits photographiques de jeunes filles qui vivent dans des situations de crise et aspirent à une vie meilleure. A l'occasion de la Journée de l'enfance cette année, ces portraits sont présentés en ligne.
Un panier de fibres noires et blanches inachevé recouvre son frêle visage. Son regard est ailleurs. Elle tient ce panier au-dessus de sa tête comme pour cacher ses peurs ou se protéger d’un environnement pas toujours bienveillant à son égard. Ou tout simplement pour mieux partager son idée auprès de la personne qui regardera son portrait.
Chandi vit en République démocratique du Congo (RDC). Dans ce pays traversé par plus de 20 ans de conflit, cette fille de neuf ans a déjà une idée du métier qu'elle souhaiterait faire : être vannière.
« Peut-être que je me marierai avec une personne irresponsable, sale ou même alcoolique », dit-elle avec un brin de pessimisme. Mais la fille congolaise a déjà un plan pour faire face à une telle situation. « Si je dois épouser un tel mari, je vendrai mes paniers pour payer les dépenses scolaires de mes enfants et pour leur acheter de la nourriture ».
Chandi fait partie des 40 jeunes filles, âgées entre six et 18 ans, dont les portraits photographiques ont été présentés l'an dernier au siège des Nations Unies, à New York, dans le cadre de l’exposition « One Day, I Will (Un jour, je deviendrai) ». Des portraits en grand format tirés par le photographe français Vincent Tremeau qui présente les espoirs et les rêves de filles pris au piège des crises dans le monde entier.
La maturité et le sens des responsabilités de Chandi a impressionné Vincent Tremeau. Le pragmatisme de la jeune Congolaise et de toutes les autres filles qu’il a photographiées ont marqué le photographe.
Ce projet photographique est né en 2014 lors d’un voyage du photographe français en République centrafricaine (RCA) où il s’est rendu pour documenter les conséquences de la guerre et de la terrible crise humanitaire sur les civils.
Depuis ce voyage en RCA, Vincent Tremeau raconte en photo les aspirations des jeunes filles qu’il a rencontré aux quatre coins du monde en leur posant cette simple question posée inlassablement à chaque enfant : « Que veux-tu faire quand tu seras grand(e) ».
Depuis six ans , Vincent Tremeau a parcouru 15 pays pour son projet photographique. En Iraq, il a rencontré Lorand, une réfugiée syrienne qui souhaite devenir breakdancer. Au Tchad, Fatime, lui a confié vouloir être bijoutière. Au Bangladesh, Simat, réfugiée rohingya, espère devenir docteur. Quant à Sakima, au Niger, elle voudrait être enseignante.
« Un jour, je deviendrai retrace tout mon parcours en tant que photographe depuis le début de ce projet il y a cinq ans, » explique Vincent Tremeau dans un entretien à ONU Info réalisé l'an dernier.
Pour cet homme de 35 ans, devenir photographe est quelque chose qui est né petit à petit. Né à Montpellier et ayant grandi à Perpignan, dans le sud de la France, il se destinait à devenir avocat. « Mais après mes premières expériences en tant que juriste j’ai voulu travailler sur des causes nobles. Je voulais faire quelque chose qui apporte quelque chose à la communauté et aider d’autres gens », dit-il.
Vincent Tremeau s’est alors orienté vers l’humanitaire. Un milieu dans lequel il s’est rendu compte que le moyen le plus fort pour essayer de faire changer les choses ou au moins alerter les consciences était de recourir au pouvoir de l’image. Et c’est ainsi qu’il a commencé à réaliser des reportages et à faire des photos.
En Centrafrique, Vincent Tremeau a rencontré de jeunes garçons et filles privés d’école à cause de la guerre et de la crise humanitaire. « Je voyais tous ces enfants qui couraient dans tous les sens et qui voulaient absolument être sur mes photos. Et je me suis dit comment vais-je aborder la question de l’accès à l’école et à l’éducation ? Ces jeunes enfants comme les adultes avaient fait face à des atrocités innommables au cours de la dernière année ».
Parmi ces enfants centrafricains, il y avait une petite fille. « Je lui ai demandé ce qu’elle pensait de l’école. Je voulais savoir si cela lui manquait, si elle aimait aller à l’école et ce jour-là cette petite fille a commencé à parler de ce qui s’était passé le dernier jour où elle est allée à l’école et elle a commencé à me raconter les évènements horribles dont elle a été témoin alors qu’elle était en classe, et à ressasser ces évènements et elle s’est effondrée en larmes. J’étais dévasté par le fait que mes questions aient ravivé ce traumatisme ».
C’est à partir de cette rencontre et de ce témoignage douloureux que Vincent Tremeau a imaginé un jeu de déguisement et de portrait photographique avec les enfants. « Parce que je ne voulais pas demander à ces enfants de repenser au passé. Je me suis dit ce sera plus positif de se projeter vers le futur et sur leurs espoirs. Et c’est comme cela que je leur ai posé cette question : ‘Que veux-tu faire quand tu seras grand ?’ ».
Pour pimenter un peu tout cela, Vincent Tremeau voulait que ce soit un moment non seulement de joie, mais aussi une activité créative. « Comme ces enfants avaient entre huit et 12 ans et qu’on ne parlait pas la même langue, il est difficile pour eux de s’exprimer avec des adultes. On n’a pas parfois tous les mots pour bien exprimer ce qu’on ressent », explique-t-il.
Le photographe a donc décidé d’utiliser le déguisement comme langage universel et moyen d’expression. Il a demandé aux enfants d’aller trouver un costume et des objets dans leur environnement proche pour pouvoir exprimer ce qu’ils souhaiteraient devenir quand ils seront grands.
Et c’est ainsi ce projet artistique qui a commencé en RCA a continué au gré des voyages du photographe en RDC, au Niger, au Myanmar ou au Népal. Au total des 400 enfants d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient ont participé à Un jour, je deviendrai.
« Tout commence par l’école »
Pour Vincent Tremeau, le monde que l’on donne aux enfants aujourd’hui est celui qui les inspire pour leur avenir.
« Nos actions aujourd’hui influent directement leur monde à venir. C’est notre devoir de leur donner les moyens de pouvoir accomplir leurs espoirs et leurs rêves. Et tout commence par l’école. L’école leur donne accès à une vie décente. Mais dans de nombreux ces pays, la crise humanitaire est telle que ces jeunes filles ne peuvent pas aller à l’école ou encore parce qu’elles doivent travailler pour pouvoir aider leurs familles au foyer ou pour les nourrir. Et parfois elles ne vont pas à l’école parce que ce sont tout simplement des filles », déplore-t-il.
Au Népal, Vincent Tremeau a été touchée par l’histoire d’Otpika, une jeune fille de 18 ans. « Elle voulait être femme d’affaires parce ce qu’elle avait conscience qu’il fallait qu’elle devienne indépendante financièrement et vite. Elle avait développé de l’artisanat qu’elle vendait pour pouvoir elle-même financer ses études », explique-t-il.
« Si elle ne le faisait pas, son père allait la marier parce qu’elle représentait une charge pour la famille. Il était donc nécessaire pour elle de devenir indépendante pour pouvoir étudier et réaliser ce à quoi elle aspirait ».
« Je me suis dit : ‘cette personne-là, elle va vraiment aller loin !’ »
Dans le cadre de son projet photographique, Vincent Tremeau travaille avec des humanitaires, et si possible avec des structures scolaires ou des organisations présentes sur le terrain qui interagissent avec les enfants. Ses photos sont prises parfois avec une lumière naturelle, ou comme au Bangladesh dans un studio photo installé dans une tente de réfugiés rohingyas. Durant toute la journée, les enfants viennent tour à tour se faire photographier.
« On passe beaucoup de temps en entretien avec chacun d’entre eux. Cela prend entre 30 minutes et une heure pour chaque photo. Je ne pose pas juste la question ‘Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand(e) ?’ mais j’essaye de creuser, de comprendre et ainsi faire avancer la réflexion pour savoir pourquoi cette personne veut faire cela, quelles sont les raisons », souligne-t-il.
Dans tous les pays où il s’est rendu, Vincent Tremeau a rencontré des enfants avec une personnalité d’exception, « Je me suis dit : ‘cette personne-là, elle va vraiment aller loin !’ », rapporte-t-il.
« Mais ce qui m’a parfois fendu le cœur, c’est que ces enfants n’ont pas la chance de pouvoir y arriver sauf si on leur donne les moyens ou s’ils ont un appui extérieur. Et pour certains, cela semble très compliqué d’atteindre leurs rêves ».
« Ce sont les enfants d’aujourd’hui qui sont les leaders de demain »
Pour tous ces enfants qui n’ont pas les moyens de devenir ce qu’ils souhaitent être, Vincent Tremeau ressent la responsabilité et le devoir de faire connaitre leur situation et de porter le plus haut possible leur voix, rêves et leurs espoirs.
« Le but de cette exposition est de porter ces images le plus loin possible pour pouvoir influencer, pour pouvoir marquer les esprits et faire prendre conscience au grand public mais aussi aux hautes autorités des Nations Unies de notre devoir de construire un monde meilleur », souligne-t-il. Et pour lui, cela passe par l’éducation des jeunes filles qui est la base même pour autonomiser les personnes.
Le photographe souligne l’importance de donner un accès à l’éducation qui soit égal pour les filles comme pour les garçons quel que soit les circonstances. « Car si dans un pays qui est déjà pauvre, on prive les enfants d’aller à l’école pendant des années et on n’envoie pas les filles à l’école, comment peut-on espérer dans 20 ans, lorsque ces enfants auront 25 ans, qu’un pays puisse se développer davantage ? ».
« Ce sont les enfants d’aujourd’hui qui sont les leaders de demain », rappelle-t-il. Une évidence que le photographe souhaite rappeler aux fonctionnaires internationaux, délégués des Etats membres et visiteurs de l’ONU qui passent chaque jour devant les portraits inoubliables de Chandi de la RDC, d’Optika du Népal et des autres filles du monde entier qui espèrent voir leurs rêves d'enfants devenir réalité.
Source : ONU Info
https://news.un.org/fr/story/2020/11/1082452