Bouche invisible, visage caché de moitié, voix qui porte moins... Le masque joue-t-il sur l'apprentissage du langage des tout-petits et celui de la lecture des écoliers de maternelle et de CP ?
Depuis le 1er septembre 2020, les enseignants du pays ont adopté un nouvel accessoire de rentrée, le masque, à porter obligatoirement et du matin au soir. En crèche, le personnel n'est pas soumis à la règle, sauf en présence des parents et quand une distance physique d’un mètre ne peut être maintenue entre collègues. Par définition, il peut donc se retrouver masqué face aux petits. Alors la situation a de quoi interroger : cette bouche masquée des adultes peut-elle perturber l'apprentissage du langage et de la lecture des enfants ?
La bouche, un rôle primordial ?
À l’école, que ce soit en maternelle ou en classe de CP, le corps enseignant manque de recul pour affirmer que le masque aura un quelconque impact sur l’apprentissage de la lecture. Pour l’heure, certains professionnels se veulent tout de même rassurants. «A priori, le masque n’aura pas forcément de conséquences négatives, simplement parce que voir la bouche de l’enseignant n’est pas primordial pour apprendre à lire», indique Anne-Laurence Mathieu, professeure des écoles en maternelle en Lorraine, dont la classe regroupe moyens et grands. «La technique de lecture ne se limite pas à la bouche. L’enfant voit une lettre, entend un son, écoute une histoire… Et son cerveau, en fonction de ce qu’il a vu avant, se dit “ça, ça doit être ce mot-là”.»
En plus d’enseigner une technique, apprendre à lire à un élève consiste aussi à lui inculquer un comportement de lecteur. Pour ce faire, les enseignants modifient l’intonation de leur voix ou utilisent la gestuelle. «On fait visualiser le son à l’enfant, précise Anne-Laurence Mathieu. Personnellement, après l’avoir prononcé, je montre avec ma main : le "i" par exemple, est un doigt levé, le "m" est mimé par trois doigts qui s’ouvrent et se referment.»
Des difficultés pour certains profils ?
D’autres professionnels émettent davantage de réserves. Enseignante en classe de CP à Paris, Céline G. craint des complications pour certains profils d’élèves. «Il y a beaucoup d’enfants pour qui l’apprentissage passe par le corporel, qui ont besoin de regarder notre langue qui vient sur le palais quand on prononce un "l", ou la forme de notre bouche quand on prononce un "o", par exemple. Pour d’autres, l’apprentissage passe par l’affect, qui se traduit notamment par les sourires, et le masque est un frein.» «Les enfants présentant des problèmes auditifs (souvent non-diagnostiqués à cet âge) peuvent aussi être ennuyés, ceux atteints de troubles de l’attention et de troubles envahissants du comportement, aussi», ajoute Anne-Laurence Mathieu.
Dans le Journal du Dimanche, la secrétaire d’État chargées des personnes handicapées, Sophie Cluzel, a d'ailleurs annoncé que tous les enseignants de maternelle et ceux ayant des élèves malentendants dans leur classe seront bientôt dotés de masques dits «inclusifs» (transparents).
En réponse à ces craintes, Béatrice Sauvageot, orthophoniste et fondatrice de Puissance Dys - une méthode basée sur les neurosciences pour repérer et rééduquer les enfants et adultes atteints de troubles «Dys» - avance que les enseignants sauront trouver d’autres stratégies ; comme celle de «mimer les lettres avec le corps». Elle poursuit : «On utilise aussi ce que l’on appelle les valeurs psycho-acoustiques du langage écrit. Pour les exceptions, on peut dire que le mot "immeuble" prend deux "m" parce qu’il est grand.»
Optimiste, l'orthophoniste aime à penser que le masque puisse être l’occasion de faire entrer les neurosciences à l’école, mettant fin à certaines méthodes de lecture utilisées et que la professionnelle estime caduques. «Les dernières découvertes neuroscientifiques montrent bien que l’on ne lit pas mais que l’on devine, précise Béatrice Sauvageot. Concernant l’apprentissage, il faut utiliser la mémoire de l’enfant, qui a une potentialité exceptionnelle, le faire jouer...»
Masques et tout-petits
Quid des tout-petits ? Que le personnel de crèche soit parfois masqué face aux petits ne contrecarre en rien l’apprentissage du langage, selon Claire, sous-directrice d’une crèche en région parisienne. «Nous ne sommes pas leurs seules relations sociales, rappelle la professionnelle, les enfants voient leurs parents, non-masqués à la maison, leurs grands-parents, mais aussi les autres petits au parc par exemple.»
En pratique, la protection peut entraîner des contraintes, sur la voix notamment, souligne Nadine Tenoux, auxiliaire petite enfance dans une crèche de Bretagne, et les émotions, plus difficiles à décrypter sur un visage masqué. Mais «il n’y a aucune inquiétude à avoir, assure la professionnelle. Pour compenser, on s’approche de l’enfant pour qu’il entende parfaitement et on se met à sa hauteur pour capter son attention». Sans oublier, complète la sous-directrice de crèche, que les adultes de la structure ont aussi tendance «à articuler davantage et à exagérer les expressions».
Source : Le Figaro