Un documentaire américain livre des résultats très préliminaires d’une étude en neurologie: les enfants abusant des écrans auraient un cortex prématurément aminci. Des résultats à prendre avec la plus grande prudence.
Un amincissement prématuré du cortex chez des enfants très gros consommateurs d’écrans? Relayés (prudemment) par un documentaire sur la chaîne de télévision américaine CBS, ces premiers éléments (non encore publiés) issus d’une très grosse étude américaine ne manqueront pas d’alimenter les débats sur les dangers supposés des écrans. Directrice de l’étude ABCD («Adolescent Brain Cognitive Development») pour le compte du National Institute on drug abuse (NIDA), le docteur Gayathri Dowling précise pourtant d’emblée: «Nous ne savons pas si cela est causé par le temps passé devant les écrans. Et nous ne savons pas si c’est une mauvaise chose.»
Ces résultats très préliminaires portent sur 4500 IRM cérébrales passées par des enfants de 9-10 ans. Ils montrent, indique Gayathri Dowling , des «tracés différents» chez les enfants utilisant smartphones, tablettes ou jeux vidéos plus de 7 heures par jour. Avec, notamment, un amincissement prématuré du cortex.
Un organe plastique
La plus grande prudence dans l’interprétation de ces résultats est pourtant de mise. D’une part, parce que les résultats observés portent sur de très gros utilisateurs: or le cerveau est un organe plastique que nos expériences et activités modifient en permanence; il est donc logique qu’une même activité opérée 7 heures par jour, ait un impact sur son développement. «Les enfants qui passent plus de deux heures par jour devant un écran ont de moins bons scores pour la mémoire et les tests de langage», précise par ailleurs le documentaire, mais là encore de très nombreux autres facteurs peuvent être en cause (et notamment le fait que les plus gros utilisateurs ont, de fait, moins d’interactions sociales et de confrontation avec le monde «réel»).
Mais surtout, l’amincissement du cortex est un processus normal de la maturation cérébrale. En 1999, des chercheurs de l’Université de Californie montraient ainsi, dans Nature neurosciences , que la quantité de matière grise corticale augmentait jusqu’à la préadolescence, avant de se mettre à diminuer, à des âges variables selon les zones cérébrales. «Ce que nous nous attendrions à voir plus tard se produit un peu plus tôt», se contente donc de noter Gayathri Dowling , avant de préciser aussitôt qu’il faudra attendre pour observer si cet amincissement cortical un peu prématuré a un impact sur les performances et/ou le comportement des jeunes, et s’il est réellement causé par l’abus d’écrans ou lui est seulement associé.
Manque de données solides
Pour l’heure, les données solides manquent sur l’impact des écrans sur le développement cérébral. Chez les tout-petits, il semble que leur usage excessif pourrait favoriser des retards dans l’acquisition de la motricité fine ou l’apprentissage du langage. Mais quel que soit l’âge, difficile d’éliminer tous les facteurs confondants: «Nous ne pouvons pas mettre des humains en cage et les exposer à des écrans», notait ainsi le Dr Serge Tisseron, psychiatre à l’origine du slogan «pas d’écrans avant trois ans» interviewé par Le Figaro en octobre dernier.
Et au-delà du «contenant», le problème réside probablement davantage dans le contenu, et la façon dont ces outils technologiques sont utilisés. «Notre cerveau et celui des enfants nés dans un monde numérique apprennent selon les mêmes règles», rappelle ainsi la chercheuse en sciences cognitives et philosophe Elena Pasquinelli dans un ouvrage récent («Comment utiliser les écrans en famille, Odile Jacob). Et les fabricants de ces outils comme de leurs contenus ne s’y trompent pas; ils s’entourent de psychologues et autres spécialistes des neurosciences pour mieux fournir à notre cerveau ce que l’auteur nomme d’«irrésistibles desserts»...
Une étude prévue sur dix ans
Si la plupart des spécialistes est donc d’accord sur le fait qu’il faut apprendre aux enfants à ne pas se laisser «dévorer» par les pixels, la recherche scientifique est encore loin de conclure à la nocivité des écrans. L’étude ABCD permettra peut-être d’en savoir plus, mais il faudra s’armer de patience. Pendant une décennie, plus de 10.000 enfants seront, à partir de 9-10 ans, soumis à des tests pour évaluer leur développement cognitif, et à diverses analyses biologiques ainsi que, tous les deux ans, une IRM cérébrale. Objectif: savoir «comment les expériences de l’enfance (comme les sports, les jeux vidéo, les réseaux sociaux, les mauvaises habitudes de sommeil et le tabagisme) interagissent entre elles et avec la biologie changeante de l’enfant», et quelles conséquences tout ceci a «sur le développement du cerveau et les résultats sociaux, comportementaux, scolaires, de santé et autres», explique le site Internet consacré à l’étude, dont les données seront mises à disposition de la communauté scientifique.
Source : Le Figaro