Faut-il en parler à l’école ? Aux autres parents ? A la police ? Un psychologue de l’enfance répond à nos questions.
Moqueries à répétition, injures, violences… Le quotidien des enfants peut s’avérer très difficile à l’école. Récemment, la vidéo choquante d’un petit garçon, qui se livre sur les coups que lui et son petit frère auraient reçus à l’école, a ému de nombreux internautes. Son cas n’est malheureusement pas isolé, ce que l’on souligne à l’occasion de cette journée de lutte contre le harcèlement jeudi.
Cette situation peut laisser les parents démunis, incapables de contrôler ce qui se passe dans l’enceinte des salles de classe et des cours de récréation. Le psychologue de l’enfance Samuel Comblez, également directeur des opérations de l’association E-enfance (responsable de la ligne Net Ecoute), spécialisée dans la sensibilisation des rapports des enfants à Internet, répond aux nombreuses questions que les parents peuvent se poser.
Que dire à mon enfant si j’apprends qu’il est harcelé ?
Samuel Comblez : « Il faut lui dire qu’il n’est responsable de rien. Souvent, quand il se retrouve harcelé, l’enfant se sent coupable. Il peut aussi penser que de toute façon, ça ne sert à rien d’en parler, que ses parents vont le gronder ou qu’ils ne seront pas capables de pouvoir agir, ou qu’ils ne le croiront pas. Il faut donc dédramatiser sa culpabilité et se placer comme un parent coopérant et solidaire de la détresse de son enfant. Il faut montrer que le harcèlement est un délit et qu’il est normal de lancer un signalement.
On peut d’ailleurs agir en prévention, en lui disant : « Si tu te fais harceler, surtout, viens me voir pour que je puisse t’aider à dénouer la situation, et ne t’enferme pas dans une relation compliquée avec un harceleur ». Les outils numériques peuvent souvent favoriser la répétition et l’isolement de la victime.
Dois-je prévenir son établissement scolaire ?
« Il me semble normal que l’établissement soit au courant. Il arrive que l’école soit déjà au courant de phénomènes de harcèlement, et lutte contre cela sans en informer les parents. Parfois, les personnels d’établissement ne s’en rendent pas compte malgré leur vigilance sur le bien-être des élèves. Un signalement des parents permet donc de créer une alliance, de faire remonter des informations, y compris lorsque le harcèlement se déroule en ligne. »
Dois-je contacter le harceleur et/ou ses parents ?
« Dans la mesure du possible, j’invite les parents à ne pas voir les parents du harceleur et à ne pas résoudre le problème par eux-mêmes. Il est important de ne pas jouer au justicier. Ça ne marche pas, ça ne fait que renforcer le harcèlement, car le harceleur veut préserver ses parents du conflit et va en faire baver à l’enfant victime.
Quand on est dans un conflit, quand ça implique son propre enfant, il faut un médiateur et l’établissement scolaire peut jouer ce rôle-là. »
Que faire si le cas de mon enfant empire après l’avoir dénoncé ?
« Il y a des recours : si ça n’a pas marché la première fois, le parent peut réinterpeller l’établissement, se faire aider par le délégué de parents d’élèves ou l’association de parents d’élèves qui peut amplifier l’appel. Notre association Net Ecoute peut être une ressource. On propose notamment des choses à faire sur le comportement du jeune pour éviter que le harcèlement ne se poursuive, comme pour ceux qui continuent leur relation numérique avec leur harceleur. Je conseille aussi aux parents d’appeler le référent harcèlement de son académie, qui a un pouvoir d’interpellation de l’école sur la situation. Il peut proposer un travail en coordination avec l’établissement. Depuis 2011, le ministère de l’Education nationale travaille sérieusement sur ces questions, le problème est pris en compte en haut lieu. »
S’il y a des atteintes physiques, est-ce que je dois impliquer la police ?
« Quand les limites sont dépassées, que ce n’est plus acceptable, il est bien normal de faire appel aux forces de l’ordre et de faire en sorte que la personne qui vous dérange soit mise hors d’état de nuire. Cependant, ça ne doit pas être la première réponse. Elle ne peut pas se suffire à elle-même. Impliquer la police peut la surcharger, il y a peut-être d’autres réponses à apporter. Les parents peuvent imaginer qu’après un dépôt de plainte, tout va changer magiquement, mais ils finissent par être très déçus : le parcours judiciaire ne se fait pas du jour au lendemain. Une fois que la plainte est déposée, l’enfant peut continuer à être harcelé, la police peut interpeller quelques jours voire quelques semaines après la plainte, et cela peut être trop tard. Je rappelle qu’il faut aussi interpeller l’institution scolaire dans son ensemble. »
Que fais-je si mon enfant est harcelé sur Internet ?
« La première des choses, c’est de dire à l’enfant d’arrêter de communiquer avec le harceleur. Il faut aussi prendre des captures d’écran pour avoir des preuves du calvaire vécu par le jeune. Ces pièces permettront d’apporter des éléments supplémentaires au dépôt de plainte. On peut aussi signaler le harceleur auprès du réseau social en question. Un avertissement peut déclencher une mise en garde au harceleur et mener à une suppression de son compte.
Si le signalement n’a pas porté ses fruits, on peut appeler Net Ecoute. Nous sommes tiers de confiance auprès de la majorité des grands réseaux sociaux connus, ce qui nous permet de faire une démarche de signalement, qui est en général traité dans les 5 minutes ou l’heure qui suit. On ne passe pas par les formulaires habituels qui sont assez limités dans l’apport de pièces jointes ou d’éléments de compréhension. On connaît les bons arguments, on sait évaluer une situation telle qu’elle est et les réseaux prennent notre signalement en compte de manière rapide. Dans 99,9 % des cas, nos demandes aboutissent. »
Dois-je envoyer mon enfant victime de harcèlement chez un psychologue ?
« La première personne qui peut répondre à cette question, c’est l’enfant. On a souvent ce réflexe d’envoyer une victime chez le psychologue après un traumatisme, mais il faut trouver le bon moment. Quand on est victime de sévices, il n’est pas forcément utile de consulter immédiatement après. Je prends souvent en charge des jeunes victimes dans ce cas, et lorsque l’incident vient de se produire, ils n’ont rien à dire parce que c’est trop frais, le psychisme n’a pas eu de recul. Il faut donc demander à l’enfant s’il souhaite être aidé par quelqu’un qui n’est pas son parent. Si il ou elle dit non, il ne faut pas insister. Certains n’en ont pas besoin, d’autres en auront besoin plus tard.
Selon moi, tout médicaliser n’est pas la bonne solution. L’enfant peut aussi retrouver de l’estime de soi en faisant du théâtre, de la musique, une randonnée en montagne, du scoutisme… On peut redonner aux jeunes de l’envie avec une expérience positive de l’être humain. Ce sera via un groupe auquel il participe qu’il pourra trouver du soutien. Ce type d’implication peut être plus thérapeutique que d’envoyer un jeune vers un psychologue. »
Source : Le Parisien