Si l’antiphrase permet d’exprimer l’exaspération de l’adulte, elle n’est compréhensibl par l’enfant qu’au-delà de 5 ans. L’ironie, qui joue sur le double sens, peut être humiliante pour celui qui, n’en maîtrisant pas les codes, ne peut y répondre.
Le gamin est là, tout penaud sur le paillasson, menton bas sur pantalon déchiré et maculé de boue. « C’est du propre… Bravo, je te félicite ! Tu peux être fier de toi, tu fais des prouesses de jour en jour ! Ne change rien, continue comme ça… » Les antiphrases ironiques du parent se bousculent au portillon, signifiant à l’enfant qu’il a dépassé les bornes. Elles traduisent sa colère, son exaspération, sa déception aussi. Mais est-il judicieux que l’adulte puise dans le registre de l’ironie pour le réprimander ? Car l’ironie est à double tranchant, estime Stephan Valentin. Pour le docteur en psychologie et spécialiste de la petite enfance, « l’enfant est sous le feu de la critique, mais cette dévalorisation s’opère sans qu’il n’entende le moindre mot négatif ».
L’ironie avance masquée. Lorsqu’il la croise, sournoise, l’enfant s’interroge sur le sens et l’intention des propos de l’adulte. Trop petit, il ne comprend pas encore qu’un mot ou une expression puisse être à double sens et que son interlocuteur pense exactement l’inverse de ce qu’il exprime.
A partir de 5 ans déjà, il va faire la part des choses, mais peut passer à côté d’une remontrance, la prenant pour un compliment ! « C’est loin d’être rassurant pour l’enfant, prévient Stephan Valentin. Plus il est exposé à l’ironie, mieux il la débusque certes, mais ne l’apprécie pas pour autant… car que peut répondre l’enfant à cela ? Rien, à moins d’être tenu pour insolent ! Cela coupe court à toute communication. »
Une violente humiliation
Lorsque Nine, 8 ans, après avoir rapporté un carnet de notes médiocre à la maison, est accueillie par son père par un « Ah, mais voilà le génie de service ! Encore une qui ira loin… », la fillette ne se fait pas d’illusions. « C’est très humiliant pour l’enfant d’être ainsi rabaissé. C’est peut-être plus facile pour le parent d’en passer par l’ironie pour traduire sa déception, mais c’est aussi violent, sinon plus, que si sa critique était directement formulée », considère Stephan Valentin.
Evidemment, l’ironie, à petite dose, peut avoir vocation à taquiner la fillette trop soucieuse de son apparence – « Tu devrais mettre une robe plus voyante encore ! » – ou à houspiller le fiston procrastinateur – « Prends tout le temps dont tu as besoin, surtout ». Jusqu’à ce que l’adolescent gratifie à son tour son père, piètre cuisinier, d’un « On va encore se régaler ! » devant ce énième ovni (pour « objet verdoyant non ingérable ») culinaire. Inutile de tourner autour du pot et de blesser plus que nécessaire. Rien n’est plus constructif que des messages clairs et sans détour, accessibles à l’enfant, et sans effet de bombe à retardement.
Source: Le monde