Quelque 248.000 enfants et adolescents ont été mariés entre 2000 et 2010 aux États-Unis, où la moitié des États n'a toujours pas appliqué d'âge minimum pour le mariage.
Lorsqu'elle s'est mariée, Sherry Yvonne Johnson n'avait pas tout à fait 12 ans. «Je suis aujourd'hui une survivante, une auteure, une avocate à cause de cette histoire», confie-t-elle au Figaro. «Ma mère avait l'habitude de se rendre dans une église chrétienne évangélique appelée ‘La maison de la prière'. J'ai été violée la première fois à huit ans par l'évêque de la paroisse. Puis par mon beau-père. Et enfin par le diacre de cette même église. Je suis tombée enceinte de ce dernier à l'âge de neuf ans et j'ai accouché à dix. Je croyais pouvoir cacher le viol.» La mère de Sherry, à l'époque très croyante, la force à épouser son violeur âgé de 20 ans, pour sauver l'honneur et pour des raisons religieuses. Les autorités de sa ville ont refusé le mariage, mais la commune voisine a accepté. «J'ai divorcé à l'âge de 17 ans. Pendant notre relation, j'ai donné naissance à six enfants.» L'histoire de Sherry est connue et a été relayée dans de nombreux médias anglosaxons. Son mariage a eu lieu en 1971 à Tempa en Floride. Difficile d'imaginer que marier une enfant de 11 ans puisse encore être possible. Pourtant, 46 années plus tard, la législation de cet État n'a aucunement été modifiée.
Aujourd'hui Sherry a 58 ans et attend toujours que sa mère reconnaisse les faits. «Maman n'en parle jamais, c'est un sujet tabou. Mais elle m'a appelée la semaine dernière. Cinquante ans après, elle s'est excusée pour ‘ce qu'elle a fait' sans pour autant me donner d'explications», raconte-t-elle.
Tout comme Sherry, 248.000 enfants et adolescents ont été mariés aux États-Unis entre 2000 et 2010, selon l'association Unchained at last. Ces chiffres ne différencient pas les mariages forcés après un viol ou dus à l'emprise d'une religion. Alors que des pays comme le Zimbabwe, le Malawi ou El Salvador ont récemment banni le mariage des enfants, les États-Unis gardent une législation particulière à ce sujet. Certains, comme le New-Hampshire et la Caroline du Nord, permettent le mariage à partir de 13 et 14 ans. Dans 25 États, la loi ne prévoit aucun âge minimum. Des enfants peuvent se marier à condition d'avoir la bénédiction de leurs parents et le consentement d'un juge. L'âge minimum instauré dans la loi est d'ailleurs rarement définitif: la totalité des États accordent des exceptions.
Toutes les classes sociales concernées
Une étude de 2016 du cabinet Pew Research a révélé que les mariages de mineurs entre 15 et 18 ans étaient plus fréquents dans les États du Sud, particulièrement en Virginie-Occidentale et au Texas. Heather Barr, chercheuse auprès de la division Droits des femmes de l'association Human Rights Watch, lutte pour convaincre ces États de modifier la législation. Actuellement, son travail se concentre sur la Floride où un mineur de moins de 16 ans se marie tous les deux jours, selon le New York Times Contactée par Le Figaro, elle explique que ce phénomène touche toutes les classes sociales, aussi bien dans les États plus pauvres que les États riches. En revanche, son équipe a constaté de façon anecdotique qu'«être membre d'une communauté isolée à cause de la religion, de l'immigration ou de la langue peut parfois renforcer le risque d'un mariage forcé. Mais les unions d'enfants ne se déroulent pas exclusivement dans les communautés marginalisées».
Esther, une jeune fille issue de la communauté juive hassidique de New York, n'a eu d'autre choix que d'épouser un homme à l'âge de 17 ans. À travers le site web de l'association Unchained at last, elle s'insurge : «Je ne l'ai rencontré que pendant une demi-heure. Nous avons été fiancés pendant quatre mois et nous n'avons pas eu le droit de nous voir. Lors de notre nuit de noce, il m'a dit ‘si tu penses que tu es la première, tu te trompes. J'ai déjà fréquenté des prostituées'». Il a abusé d'elle et l'a obligée à avoir des rapports sexuels avec d'autres hommes. Après neuf années d'une relation forcée, «j'ai su qu'il était temps de fuir». Un soir de Shabbat, Esther est retournée chez ses parents. «Je leur ai tout raconté, ils étaient anéantis. Dire «oui» a quelqu'un lorsqu'on est aussi jeune c'est comme signer un contrat dans une langue que l'on ne comprend pas.»
Un abandon de l'éducation
Aux États-Unis, la volonté des parents de marier leur enfant est souvent due à la grossesse précoce de leur fille. Pour «sauver l'honneur» de la famille, certaines jeunes filles, comme Sherry, sont même contraintes d'épouser leur violeur. Dans 77% des cas, ces jeunes victimes sont unies à des hommes adultes. Parmi les enfants mariés de force, les jeunes garçons représentent 15% tandis que les filles 85%. «Certains juges conservateurs peuvent être en accord avec la volonté des parents de marier leur fille enceinte car ils estiment que c'est dans son intérêt. Mais ils n'ont sans doute pas connaissance des données qui prouvent à quel point le mariage des enfants est nocif», déplore Heather Barr.
En effet, dans une tribune pour leWashington Post, Fraidy Reiss, fondatrice de l'association Unchained at Last, a insisté sur les troubles que peuvent causer ces mariages précoces: «Les femmes qui se marient avant 18 ans ont plus de chances de développer divers troubles psychologiques, quel que soit leur milieu socio-démographique d'origine. Et, selon une étude internationale, les femmes qui s'unissent avant 18 ans ont aussi trois fois plus de chances d'être battues par leur époux que celles qui se marient après 21 ans». Ces mariages peuvent également mettre fin à leur cursus scolaire. «Les Américaines qui se marient avant 19 ans ont 50 % plus de chances d'abandonner l'école, et sont quatre fois moins susceptibles d'aller à l'université que leurs conjoints.»
Quelques avancées ces dernières années
Au Texas, État le plus touché avec 34.793 enfants mariés entre 2000 et 2010, selon Unchained at Last, l'âge légal a également progressé de 14 à 18 ans pendant l'été 2017. Il reste néanmoins possible de se marier dès 16 ans avec le consentement d'un juge.
Le premier octobre, une nouvelle loi a pris effet dans le Connecticut bannissant le mariage en dessous de 16 ans. Auparavant, l'âge minimum était de 13 ans.
De légers progrès qui ont du mal à être diffusés à travers tous les États. En mai 2017, Chris Christie, le gouverneur républicain du New Jersey, a refusé de signer la loi proposant d'abolir le mariage des enfants et de fermer la porte à toute exception. Cette loi aurait pourtant fait de l'État du New Jersey le premier du pays à interdire le mariage en dessous de 18 ans. Selon lui, cette décision aurait été contraire au respect des coutumes religieuses. Actuellement dans l'Ohio, le sénateur Kenny Yuko tente, non sans mal, de faire accepter sa proposition de loi dans laquelle il souhaite instaurer un âge minimum de 16 ans.
En France, l'âge légal pour le mariage est de 18 ans. Seuls les adolescents émancipés de l'autorité parentale peuvent se marier à partir de 16 ans. Les pays membres des Nations unies ont promis, dans le «Sustainable development goals», de bannir le mariage des enfants avant 2030. Mais pour l'heure, dans le monde, 28 filles sont mariées chaque minute.
Source : Le Figaro