Pour Philippe Brizemur, d’Amnesty International, les mineurs jihadistes peuvent être considérés comme victimes de lavage de cerveau.
Philippe Brizemur est responsable de la commission droit des enfants à Amnesty international France. Il détaille la notion d’enfant-soldat, déjà utilisée pour le cas de mineurs partis en Syrie.
Dans quelles conditions un mineur combattant est-il reconnu comme un enfant-soldat ?
Le terme d’enfant-soldat n’est pas officiel, c’est un terme pratique. Les textes parlent d’«enfants associés aux groupes armés ou aux armées régulières». Au moment du procès de Thomas Lubanga [un chef de guerre congolais condamné pour avoir enrôlé des mineurs, ndrl], la Cour pénale internationale (CPI) a précisé qu’un enfant était associé à un groupe armé à partir du moment où il constitue une cible pour les adversaires. Ces enfants peuvent avoir des rôles de combattant, d’espion, de cuisinier, d’esclave sexuel…
Utiliser des enfants est un crime de guerre, donc imprescriptible. Le mineur jouit de la protection offerte par la convention relative aux droits de l’enfant, signée par tous les pays sauf les Etats-Unis, et de son protocole additionnel. La convention proscrit l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans dans les conflits armés, le protocole additionnel d’enfants de moins de 18 ans.
Les mineurs jihadistes peuvent-ils être considérés comme des enfants-soldats ?
Ils en sont ! Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne doivent pas être jugés. On peut considérer qu’ils sont victimes de lavage de cerveau via Internet, ce qui a été dénoncé lors de la conférence organisée la semaine dernière par l’Unicef et la France sur la protection des enfants en temps de guerre. Cette propagande produit le même effet que les discours enflammés d’un leader charismatique comme Joseph Kony [Ougandais recherché par la CPI, ndlr] ou Thomas Lubanga.
Les enfants-soldats détenus ont-ils des droits particuliers ?
Ils doivent avant tout être considérés comme des enfants et ne devraient pas, par exemple, être détenus avec des adultes. La semaine dernière, il a été rappelé lors de la conférence que les enfants-soldats doivent d’abord être considérés comme des victimes. Ils peuvent être poursuivis, mais leur statut est double : ils sont bourreaux et victimes en même temps. Dans le cas d’un jugement, la justice doit être adaptée à leur qualité de mineur.
Des distinctions sont-elles faites selon les modes d’enrôlement ?
Les coupables sont les combattants adultes, qui sont eux des criminels de guerre. La Cour pénale internationale a rappelé qu’on ne peut pas parler de «volontaire» dans le cas d’enfants. Ils sont toujours victimes, de détournements, de fausses promesses, voire d’enlèvements. Ce sera au juge de considérer la part de responsabilité de l’enfant. C’est extrêmement délicat.
Quelles obligations pour les Etats signataires ?
Ils ont signé l’engagement de mettre leur législation en accord avec la convention et à rendre des comptes tous les cinq ans devant le comité dédié. Les ONG peuvent déposer des contre-rapports et le comité envoie une conclusion à l’Etat, qui doit y répondre. Chaque année, la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies, Leïla Zerrougui, publie en annexe de son rapport une liste des Etats et groupes armés qui emploient des enfants. Les Etats font des pieds et des mains pour ne pas y figurer. Il y a deux ans, Israël, qui devait y être en raison notamment de l’emprisonnement d’enfants, a menacé de ne plus financer l’ONU.
Interview par Pierre Alonso
Source : Liberation