Sa curiosité est sans borne. Et ses questions sans fin. Dès l’âge de 3 ans, l’enfant ne cesse d’explorer son environnement, n’oubliant pas au passage de solliciter ses parents, les inondant de mille et une questions souvent déconcertantes. Rappelez-vous ce sketch de Michel Boujenah et cette troublante interrogation : « Dis papa, d’où vient le vent ? ». Des sujets légers aux plus épineux, des liens sociaux de la fourmi à la mort, de la composition de ses céréales en passant par la sexualité, tout passe à la moulinette de son observation survitaminée. Pour Angélique Kosinski Cimelière, « les pourquoi de l’enfant sont à apprivoiser car ils ont un rôle essentiel. Les parents ne doivent pas passer à côté ». Entretien avec la psychologue clinicienne pour enfants et adolescents.
Dis maman, pourquoi je pose tant de questions ?
Aucune inquiétude à avoir quand l’enfant entre dans ce cycle (infernal) des questions ! C’est une période de développement tout à fait classique chez les 3 à 5 ans, et qui débute en général avec l’entrée à l’école, et le début de la vie sociale. Le cercle familial ou la crèche – soit des milieux assez clos – ne sont plus la seule référence. Il est dès lors possible de comparer : « Pourquoi ma maman arrive toujours en retard ? », « Pourquoi on mange de la vache ? » ou encore « Comment fabrique-t-on le pain ? »… L’enfant prend conscience de son environnement, il veut le comprendre pour en être un acteur.
Ses « pourquoi » sont donc une bonne chose, même si cela implique que les parents s’arment de patience. Après 5 ans, les questions qui semblent sorties de nulle part vont laisser place à d’autres, moins nombreuses et inscrites dans le fil des conversations. Il aura appris à chercher par lui-même.
Dis papa, ça consiste en quoi une question d’enfant ?
Dans la hiérarchie des questions des enfants, il y a, dans un premier temps, les questions que les adultes ne se posent plus, liées à l’environnement ainsi qu’aux fondamentaux de la vie et de la mort. Aux « pourquoi aller à l’école ? », « pourquoi il pleut ? », « pourquoi on meurt ? », notre réponse serait spontanément : « C’est comme ça ».
Dans un second temps, viennent les questions influencées par la relation sociale, telle que « Pourquoi ma meilleure amie ne l’est plus ? ». C’est d’autant plus complexe que l’émotion entre en jeu. La fonction d’une réponse est, à tous les âges, de sécuriser l’enfant et de lui donner des outils pour comprendre son environnement.
Enfin, certaines questions viennent contester l’autorité parentale. « Pourquoi je dois me coucher tôt ? Pourquoi manger des brocolis ? » : l’enfant grandit dans un cadre dont il tente de repousser les limites. Le parent doit expliquer tous les bienfaits de dormir suffisamment, d’être propre ou encore de manger équilibré, « comme le font tous les autres enfants ». Il importe d’inscrire son enfant dans une lignée et, même, de lui rappeler que cela a été votre sort avant le sien.
Dis papa, c’est quoi une bonne réponse ?
Aucune question d’enfant ne devrait constituer un sujet tabou. Avant de lui répondre avec des termes appropriés à son âge, l’adulte évaluera ce qu’il en sait, ce qu’il a compris ou non, et adaptera ainsi ses explications. À 3 ou 5 ans, l’enfant n’a pas les capacités de tout saisir. Inutile de lui dessiner les appareils reproducteurs de l’homme et de la femme pour qu’il comprenne « comment faire les bébés ». Toute réponse doit être claire et dire vrai. On n’est pas obligé de dire toute la vérité, mais utiliser le mot « petite graine », et pas ovule ou spermatozoïde lorsqu’on aborde la reproduction, ce n’est pas mentir, c’est adapter la vérité à un degré de compréhension et de vocabulaire à portée de l’enfant.
Dis maman, pourquoi tu réponds n’importe quoi ?
Nous n’avons pas réponse à tout ! Quand on ne sait pas, mieux vaut le dire à l’enfant et lui proposer de chercher ensemble une réponse à sa question. Cela ne le déstabilise en rien, puisque l’adulte met en œuvre une solution.
On peut être tenté, notamment par manque de temps ou par agacement, de répondre n’importe quoi. On l’a tous fait, n’est-ce pas ? L’enfant, lui, ne va pas oublier votre réponse – qu’il n’a pas remise en question dans l’immédiat. Mais, lorsqu’il va découvrir que vous lui avez raconté des craques, il vous le signifiera. Il faut le prendre à la légère, reconnaître que son explication était abracadabrante et dire pourquoi, sans oublier de gratifier son enfant d’avoir trouvé la bonne réponse par lui-même. Il n’y a aucun dommage collatéral à redouter.
Dis papa, dois-tu répondre à toutes mes questions ?
Des questions incessantes masquent souvent une autre question que le parent va devoir débusquer ou aider l’enfant à verbaliser. Mais lorsque l’enfant pose ses questions, il sait que son parent n’a d’yeux que pour lui. Ce qui peut justifier les questions à répétition… C’est une situation fréquente au coucher : avec ses « pourquoi » en cascade, l’enfant cherche à gagner du temps. Le mieux est d’y mettre un terme et de remettre ses réponses au lendemain.
Certaines questions peuvent aussi déstabiliser l’adulte, touchant à sa propre sensibilité. Si l’un des parents a perdu son emploi, par exemple, mieux vaut l’expliquer simplement à son enfant. Il convient de le rassurer (« j’aurai bientôt un autre emploi ») et de lui présenter la situation sous un angle positif (« on va passer davantage de temps ensemble »).
Si le parent est déstabilisé par la question de son enfant, il doit s’efforcer de ne pas (trop) le montrer, ce qui n’exclut pas le droit du parent à être triste et démuni par rapport à une situation. Mais il ne faudrait jamais avoir à laisser un enfant sans réponse. Même si cela consiste à lui répondre qu’il est trop petit pour comprendre. Car l’enfant vient combler les blancs : il est tenté d’y répondre par lui-même et imagine ce qui n’a pas toujours lieu d’être.
Par Marlène Duretz
Source: Le Monde
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