La CEDH a conclu qu'un Etat n'avait pas à reconnaître comme parents les personnes ayant acheté un enfant. Aude Mirkovic s'en félicite, mais invite à ne pas baisser la garde car la Cour s'est fondée en l'espèce sur l'absence de lien biologique entre les «acheteurs» et l'enfant.
Un Etat n'a pas à reconnaître comme parents les personnes ayant acheté un enfant: voici, en substance, ce qui résulte de la décision rendue hier, le 24 janvier 2017, par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire opposant à l'Italie deux de ses ressortissants, Paradiso et Campanelli.
Il aura quand même fallu cet arrêt de la grande chambre pour invalider une décision rendue en simple chambre il y a un an dans la même affaire et qui disait…. exactement l'inverse! Si les droits de l'homme et sans doute ceux de la femme se portent bien, il n'en va visiblement pas de même des droits de l'enfant, même si cette affaire pourrait marquer un avant et un après dans la prise en considération, enfin!, des droits de l'enfant comme limite à la réalisation des désirs des adultes.
En l'espèce, le principal intéressé est un enfant, fabriqué en Russie pour la vente: conçu de gamètes inconnus, porté par une femme engagée à le livrer dès sa naissance, l'enfant est remis à un couple d'Italiens contre son prix, 50 000 euros très exactement.
Alors que le couple demande, sans complexe, aux autorités italiennes l'enregistrement du certificat de naissance russe les désignant comme parents, le gouvernement italien place l'enfant en vue de son adoption dans une famille d'accueil. Qu'à cela ne tienne, le couple se plaint devant la Cour européenne des droits de l'homme, compréhensive en matière de gestation pour autrui puisqu'elle a déjà condamné (trois fois à ce jour) la France pour avoir refusé, précisément, la transcription sur les registres français d'état civil des actes de naissance des enfants nés de cette pratique à l'étranger.
Alors que, il y a un an, la cour européenne condamnait l'Italie en raison de l'atteinte portée à la vie familiale des requérants, la grande chambre retrouve la raison pour refuser de reconnaître quelque vie familiale que ce soit dans une situation résultant d'un tel achat d'enfant. S'il suffisait, en effet, de s'occuper d'un enfant pour que naisse une vie familiale protégée par le droit, tous les trafics d'enfants pourraient fleurir et se développer en totale impunité. Au contraire, estime la cour, en exigeant le respect des règles sur l'adoption internationale, «le législateur italien s'efforce de protéger les enfants contre des pratiques illicites, dont certaines peuvent être qualifiées de trafic d'êtres humains». Et la conception d'un enfant délibérément privé de parents pour le rendre disponible à la vente méconnaît sans conteste les règles de l'adoption internationale, laquelle vise à venir en aide à des enfants privés de leurs parents par les malheurs de la vie et non à fabriquer des enfants sans parents.
A défaut de vie familiale, la cour estime que la vie privée des époux italiens est bel et bien concernée. Pour autant, l'atteinte qu'elle subit du fait de la décision d'éloigner l'enfant et de le confier à l'adoption est justifiée comme poursuivant le but légitime de la «défense de l'ordre» et la protection des «droits et libertés» de l'enfant. Autrement dit, le gouvernement italien n'a pas violé la convention européenne des droits de l'homme en retirant un enfant à ses acheteurs pour le confier à une famille d'accueil en vue de l'adoption. On respire!
Enfin une décision de la Cour européenne des droits de l'homme qui pose le respect de l'enfant et de ses droits comme limite à la réalisation des désirs d'enfant! Pourquoi ne pas s'en féliciter, sans réserve?
Le soulagement pour l'enfant concerné et tous les autres menacés comme lui est réel. Pour autant, nulle raison encore de baisser la garde car les enfants sont loin d'être tous à l'abri: la cour européenne s'appuie fortement dans l'affaire commentée sur le fait que l'enfant n'était lié biologiquement à aucun de ses acheteurs. Justement, elle se montre bien trop compréhensive dès lors que l'un des clients de la mère porteuse, en général un homme, a fourni ses gamètes pour la conception de l'enfant. En témoigne la troisième condamnation de la France, le 19 janvier dernier, fondée en grande partie sur le lien biologique unissant l'enfant à l'homme l'ayant commandé à la mère porteuse.
Le fait d'avoir fourni un spermatozoïde donnerait-il donc tous les droits à un homme sur l'enfant à venir, au point de lui imposer une gestation pour autrui pour venir au monde? Si la France voulait vraiment protéger les enfants de la GPA, elle ferait appel des condamnations iniques subies à répétition: elle pourrait ainsi contraindre la grande chambre à remettre l'enfant au cœur des décisions, comme l'Italie l'a fait hier.
Source : Le Figaro