Les parents peuvent facilement culpabiliser si leur enfant se plaint de s’ennuyer, mais mieux vaut voir l’ennui comme une opportunité.
Nombreux sont les parents qui font le maximum pour divertir et éveiller leurs enfants, à grand renfort de livres, de cours de sport, d’iPads et de programmes télévisés. Mais que se passerait-il si on laissait les enfants s’ennuyer de temps en temps? Quel serait l’impact de ces moments de «vide» sur leur développement?
J’ai commencé à m’intéresser au rapport des enfants à l’ennui dans les années 1990, tandis que je cherchais à comprendre comment la télévision influence la façon dont les enfants racontent des histoires. Étonnée par le manque d’imagination des histoires écrites par des enfants de 10 à 12 ans de différentes écoles du Norfolk, je me suis demandée si cela pouvait être –en partie– une conséquence des heures passées devant la télévision. Des recherches plus anciennes révélaient en effet que la télévision avait tendance à brider l’imagination des enfants.
Dans les années 1980, une étude à grande échelle a permis de comparer les enfants issus de trois communes canadiennes –dans la première, on disposait de quatre chaînes de télévision, dans la seconde, il n’y avait qu’une chaîne, et dans la dernière il n’y avait pas de télévision du tout. Les chercheurs ont étudié le comportement des enfants au moment où les villes ont été dotées de la télévision, puis ils sont revenus deux ans après. Les enfants de la ville sans télévision ont obtenu de meilleurs scores que les autres en termes de pensée divergente –un bon indicateur de la qualité de l’imagination. Mais cela n’était vrai qu’avant qu’ils reçoivent la télévision à leur tour: à ce moment-là, leur imagination a chuté pour se retrouver au même niveau que celle des autres enfants.
La télévision aurait donc pour effet d’éteindre l’imagination, or l’imagination est très importante pour le développement. Non seulement elle permet d’enrichir l’expérience personnelle, mais nous en avons besoin pour éprouver de l’empathie –autrement dit, pour se mettre à la place de l’autre. Elle est également indispensable pour initier un changement. Mais quel rapport avec l’ennui? Eh bien, les enfants (et les adultes aussi, en réalité) ont tendance à s’affaler devant la télévision –ou devant un écran quelconque– pour tenir l’ennui à distance.
Quelques années après cette recherche, j’ai commencé à remarquer que ceux qui exercent des métiers créatifs disent souvent que l’ennui a été un allié de choix pour le développement de leur créativité, et ce depuis l’enfance. Pour en savoir plus, j’ai interviewé certains d’entre eux. Ainsi, l’écrivain et actrice Meera Syal m’a raconté que pendant ses vacances à la campagne, quand elle était petite, elle passait beaucoup de temps à regarder le paysage par la fenêtre. Elle faisait aussi plein de choses inhabituelles, sans rapport avec son quotidien, comme préparer des gâteaux avec la voisine, une dame d’un certain âge. C’est aussi l’ennui qui l’a poussée à écrire un journal intime, dont elle pense qu’il fut le point de départ de sa carrière d’écrivain. «C’est très libérateur d’être créatif juste pour passer le temps, juste parce que vous êtes libre de faire ce que vous voulez», m’a-t-elle confié.
Les enfants ont besoin de temps pour eux
La célèbre neuroscientifique Susan Greenfield tient des propos comparables: elle m’a dit qu’elle n’avait pas grand-chose à faire quand elle était petite, et qu’elle passait le plus clair de son temps à dessiner et à écrire des histoires. Ce furent les prémices de son futur travail, l’étude scientifique du comportement humain. Aujourd’hui, quand elle voyage en avion, elle emporte du papier et un stylo plutôt que son ordinateur portable, et se réjouit toujours à l’idée de ces moments où elle dispose de peu de moyens pour s’occuper.
La pratique du sport, de la musique ou d’autres activités organisées est certes bénéfique au développement physique, cognitif, social et culturel des enfants. Mais les enfants ont aussi besoin de temps pour eux –du temps pour se déconnecter des sollicitations incessantes du monde extérieur, du temps pour rêvasser, pour penser, pour s’inventer des occupations, pour découvrir leurs talents et leurs centres d’intérêt.
Pour éprouver les bienfaits de l’ennui, il n’est pas nécessaire d’être doté d’un talent créatif particulier ou d’un intellect supérieur. Laisser son esprit errer de temps à autre est indispensable pour la santé mentale et le bon fonctionnement du cerveau. Une étude prouve même que si, tandis que votre esprit vagabonde, vous vous adonnez à une activité physiquement et intellectuellement peu exigeante, vous avez plus de chances de trouver de nouvelles idées et des solutions à vos problèmes. Il faut donc aider les enfants à apprécier des activités simples comme la poterie, plutôt que de les inciter à grandir en pensant qu’il faut toujours être efficace et occupé.
Comment gérer un enfant qui s’ennuie?
Les parents peuvent facilement culpabiliser si leur enfant se plaint de s’ennuyer, mais mieux vaut voir l’ennui comme une opportunité. Inutile de proposer aux enfants des solutions toutes faites pour couper court à l’ennui. Au contraire, les enfants ont besoin que les adultes de leur entourage comprennent qu’ils ont besoin faut d’espace, de temps et parfois de désordre (un désordre que les enfants peuvent dissiper eux-mêmes une fois qu’ils ont fini de jouer) pour créer leurs propres passe-temps.
Ils peuvent aussi avoir besoin d’un peu de matériel, mais rien de sophistiqué – les choses les plus simples sont souvent celles qui offrent le plus de possibilités. Nous connaissons tous l’histoire du nourrisson qui s’intéresse plus à l’emballage du cadeau qu’au cadeau lui-même. Pour les plus grands, une loupe, quelques planches de bois, un panier plein de pelotes de laine peuvent être la source de longues heures d’amusement.
Mais pour tirer un bénéfice maximal des moments d’ennui, les enfants ont aussi besoin de ressources internes. Les qualités telles que la curiosité la persévérance, l’espièglerie et la confiance leur permettent d’explorer, de créer et de développer de nouvelles capacités d’inventivité, d’observation et de concentration. Cela les aide également à apprendre à ne pas se décourager quand quelque chose ne marche pas du premier coup, et à réessayer. En encourageant le développement de ces capacités chez leurs enfants, les parents leur offrent des qualités qui leur serviront toute la vie.
Si un enfant est à court d’idées, vous pouvez lui proposer une sorte de défi pour l’inciter à utiliser son imagination. Par exemple, vous pouvez lui proposer de chercher dans le jardin des aliments qui pourraient plaire à des dinosaures, ou bien lui suggérer de sortir avec des amis, armé d’un appareil photo digital, pour créer leur propre roman-photo.
La plupart des parents souhaitent faire de leurs enfants des êtres autonomes, capables de prendre des initiatives et de penser par eux-mêmes. Mais si vous remplissez l’agenda de vos enfants à leur place, cela ne leur apprendra rien d’autre que la dépendance et la réponse à des stimuli extérieurs, qu’il s’agisse de biens matériels ou de divertissements. Donner aux enfants les conditions favorables à leur enrichissement personnel et faire confiance à leur capacité naturelle à mobiliser leur esprit est bien plus porteur si l’on veut en faire des personnes indépendantes, compétentes et créatives.
C’est d’ailleurs valable pour nous tous. Se déconnecter, ne rien faire et laisser notre esprit vagabonder peut être formidable pour les adultes aussi –nous devrions nous y mettre.
Par Teresa Belton
Chercheuse invitée à la School of Education & Lifelong Learning, University of East Anglia
Source: Slate.fr