L'AKP a soumis au Parlement turc un projet de loi visant, dans certains cas, à annuler une condamnation pour agression sexuelle sur mineure si l'agresseur épouse sa victime, provoquant un tollé y compris chez les conservateurs.
Le projet de loi soumis au Parlement turc, jeudi 17 novembre par le parti de la Justice et du Développement (AKP) fait quasiment l'unanimité contre lui, y compris dans l’un des journaux les plus conservateurs de Turquie comme dans l’association de la propre fille du président Recep Tayyip Erdogan. Le texte vise à amnistier dans certains cas déjà passés et dits "sans violence et menace", les auteurs d'agressions sexuelles sur mineures, s'ils épousent leurs victimes. Voté en première lecture le 18 novembre, le texte doit faire l'objet d'un deuxième examen dans les prochains jours.
"L'AKP a fait passer un texte qui pardonne ceux qui épousent l'enfant qu'ils ont violé", a réagi sur Twitter un député de l'opposition sociale-démocrate (CHP), Özgür Özel.
Face à la polémique suscitée, le ministre de la Justice, Bekir Bozdag, dans une tentative de justification, a expliqué que la mesure permettait de trouver une solution au problème des "mariages précoces". En Turquie, l’âge minimum légal pour se marier est de 17 ans, avec l'autorisation des parents, et de 16 ans dans certaines "circonstances exceptionnelles" avec l'aval d'un juge, mais la loi n'est pas toujours respectée, notamment dans des régions situées à l'est du pays.
"Il y en a qui se marient avant d'avoir atteint l'âge légal. Ils ne connaissent pas la loi. Ils ont des enfants, le père va en prison et les enfants restent seuls avec leur mère", a déclaré pour sa part le Premier ministre Binali Yildirim vendredi, expliquant que la mesure visait avant tout à "lever cette injustice". La mesure s'appliquera de façon rétroactive pour régler uniquement les cas commis avant le 11 novembre 2016 et où l'"agression sexuelle" a été commise sans "force, menace ou toute autre forme de contrainte" a ajouté Bekir Bozdag, laissant planer l'ambiguité autour de la notion d'"agression sexuelle sans contrainte".
Les femmes de l’AKP se rebiffent
Considérant que cette loi va à l’encontre du droit des femmes et des enfants, de nombreuses associations ont dénoncé le texte. Et pour la première fois, des personnalités et des entités conservatrices, proches de l’AKP, ont pris la parole pour exprimer leur inquiétude.
Parmi elles, l’Association des femmes et de la démocratie (Kadem), dont la vice-présidente n’est autre que la fille cadette du président turc, Sumeyye Erdogan Bayraktar. La Kadem a estimé que l'un des principaux problèmes de ce projet de loi serait de prouver sur une base légale ce qui constitue une contrainte ou un consentement. "Comment 'la volonté propre' d'une jeune fille peut-elle être identifiée ?", s'est notamment interrogée l’association.
Dans une tribune du quotidien Haberturk, connu pour être l’un des plus proches du parti de Recep Tayyip Erdogan, la journaliste Nihal Bengisu Karaca a estimé quant à elle que le gouvernement devait reculer sur ce projet de loi.
Des réfugiées syriennes particulièrement exposées
Un soutien qui réjouit Tas Bilge, du groupement d'ONG féministes turques Flying Broom, contactée par France 24. Parcourant les provinces les plus exposées à l’est de la Turquie, cette organisation turque milite depuis des années pour le droit des enfants. Elle projette des films éducatifs aux publics les plus exposés et organise des discussions avec les municipalités pour faire évoluer les mentalités.
Pour Tas Bilge, le texte de loi "encourage le viol sur mineures". "Si cette loi passe ce serait une catastrophe", s’inquiète-elle, sans compter que le réseau féministe a récemment observé une recrudescence des mariages forcés sur les réfugiées mineures arrivées depuis la Syrie.
"Nous craignons de perdre tout ce pour quoi nous nous sommes battus"
La situation est d’autant plus inquiétante que ça n’est pas la première fois que l’AKP et les proches d’Erdogan s’attaquent aux droits des femmes. En juillet, la Cour constitutionnelle turque s'est prononcée en faveur du retrait d'une disposition du code pénal qui caractérise tout acte sexuel avec un enfant de moins de 15 ans comme un "abus sexuel", un jugement dénoncé par la société civile.
En mai dernier, le président turc avait personnellement incité les "familles musulmanes" à ne pas accepter la contraception et le planning familial, et recommandé aux femmes "d'avoir au moins trois enfants". Des politiques qui ont pour incidence d’"exclure les femmes de la vie publique", critique Tas Blidge. "Nous craignons de perdre tout ce pour quoi nous nous sommes battus depuis des années" poursuit la militante.
Mais loin d'être défaitiste, elle considère le ralliement, même timide, des femmes pro-AKP contre le projet de loi comme un premier sursaut encourageant. Plusieurs ONG défendant les droits des femmes et des enfants, dont la sienne, ont prévu de manifester mardi 22 novembre devant l’Assemblée turque pour influer sur le débat parlementaire. L’adoption ou le rejet du projet de loi sur l’amnistie des crimes sexuels sur mineures fera office de test.
Source : France24