Faut-il apprendre aux enfants à s’excuser ?

mer, 09/28/2016 - 04:45 -- siteadmin

On croit souvent à tort que les enfants ne comprennent pas le sens des excuses : ils comprennent très tôt les mécanismes sociaux.

Vous est-il déjà arrivé de vous dire que vous méritiez des excuses ou de vous sentir contrarié de ne pas en recevoir ? Les mots « Je suis désolé(e) ? » vous ont-ils déjà semblé difficiles à prononcer ?

Il y a des chances que ce soit le cas, ce qui prouve l’importance de savoir formuler des excuses et d’en recevoir, chose, que l’on retrouve dans de nombreuses cultures. D’ailleurs, la plupart des communautés ont un rapport similaire aux excuses et à la façon de les exprimer.

Quand les adultes se sentent floués, les excuses sont souvent salutaires : elles peuvent éviter desubir des représailles, amener à pardonner le fauteur de troubles, voire à éprouver de l’empathie pour lui ; et elles peuvent aussi mener à restaurer la confiance qui a été mise en péril. Mieux, les excuses sincères ont un effet physiologique : elles font baisser la tension artérielle, en particulier chez ceux qui n’arrivent pas à contenir leur colère.

Mais quel est le rapport des enfants aux excuses ? Et quand les parents croient-ils devoir inciter leurs enfants à s’excuser ?

Comment les enfants voient les excuses

La recherche prouve que, dès l’âge de 4 ans, les enfants saisissent les implications émotionnelles des excuses.

Par exemple, ils comprennent très bien que les excuses peuvent aider une personne contrariée à se sentir mieux. Les tout-petits estiment aussi que les fauteurs de troubles qui s’excusent sont plus aimables et font de meilleurs compagnons de jeux.

Des études récentes ont étudié l’impact réel des excuses sur les enfants. Dans l’une d’entre elles, un groupe de bambins âgés de 4 à 7 ans reçoit les excuses d’un enfant qui n’a pas voulu partager, tandis qu’un autre groupe n’y a pas droit. Ceux qui ont reçu des excuses se sentent mieux et considèrent l’enfant incriminé comme plus gentil et plein de regrets.

Dans une autre expérience, les enfants sont soumis à un événement plus stressant : quelqu’un vient donner un coup de pied dans la tour qu’ils construisent. Certains enfants reçoivent des excuses, d’autres pas. Dans ce cas précis, les excuses spontanées ne réduisent pas la contrariété des enfants. Pourtant, les excuses ont quand même un impact : les enfants qui ont reçu des excuses sont plus prompts à partager leurs jolis autocollants avec la personne qui a renversé leur tour que les enfants auprès de qui on ne s’est pas excusé.

Cette découverte laisse présager que les excuses mènent les enfants à pardonner, même si la tristesse associée à l’incident vécu reste présente. Les enfants se sentent vraiment mieux quand la personne « coupable » leur propose de les aider à reconstruire la tour. Autrement dit, ce qui compte aux yeux des enfants, c’est à la fois l’expression des remords et l’action réparatrice.

Le rôle des excuses dans l’éducation

Bien que les excuses aient du sens aux yeux des enfants, les points de vue sur le rôle à accorder aux excuses dans l’éducation divergent. Certains s’opposent à inciter les enfants à s’excuser en se fondant sur une notion erronée, qui voudrait que les petits soient limités dans leur compréhension des mécanismes sociaux. En réalité, ils sont déjà doués d’une grande empathie.

On ne sait pas bien quand ni pourquoi les parents incitent leurs enfants à s’excuser : en la matière, les études sont encore peu nombreuses. Pour mieux comprendre, j’ai conduit récemment une enquête avec mes collègues Jee Young Noh and Michael Rizzo de l’Université du Maryland et Paul Harris de Harvard.

Nous avons interrogé 483 parents d’enfants âgés de 3 à 10 ans. La plupart des participants étaient des mères, mais il y avait aussi des pères. Les parents ont été recrutés via des forums Internet sur l’éducation, et venaient des quatre coins des États-Unis. Sur ces forums, on retrouvait toutes les opinions possibles sur l’éducation.

Afin de prendre en compte l’éventualité que les parents puissent avoir envie de se montrer sous leur meilleur jour, nous avons mesuré le « biais de désirabilité sociale » propre à chaque parent. Les résultats exposés ici tiennent compte de ce biais et sont donc corrigés en fonction de son influence.

Nous avons demandé aux parents d’imaginer que leurs enfants transgressaient des règles importantes à leurs yeux. Puis nous avons cherché à savoir s’ils les inciteraient à s’excuser, en fonction de chaque scénario. Nous avons également demandé aux parents d’évaluer à quel point il leur importe que leurs enfants apprennent à s’excuser, dans différentes situations sociales. Enfin, nous avons demandé aux parents de donner leur vision globale de l’éducation.

La plupart des parents (96 %) pensent qu’il est important que leurs enfants apprennent à s’excuser après un incident au cours duquel ils ont contrarié quelqu’un volontairement. Par ailleurs, 88 % des parents considèrent qu’il est important que leur enfant apprenne à s’excuser après avoir contrarié quelqu’un sans le faire exprès.

Pour moins de 5 % des parents, les excuses ne sont que de vains mots. Mais même ces parents réticents restent sensibles au contexte dans lequel s’est produit l’incident.

Les parents déclarent être particulièrement enclins à inciter leurs enfants à s’excuser quand ces derniers se sont rendus coupables de « transgressions morales », qu’elles soient intentionnelles ou pas. Ces transgressions regroupent des enjeux de justice, de droit et de bien-être, comme lorsqu’un enfant vole quelque chose ou qu’il blesse quelqu’un.

Quand il s’agit de transgressions ayant trait à des conventions sociales (par exemple tricher au jeu ou interrompre une conversation), les parents considèrent que les excuses sont moins importantes.

Des excuses pour se réconcilier

Il est intéressant que les parents soient enclins à inciter leurs enfants à s’excuser, aussi bien quand ils ont contrarié les autres à dessein que lorsqu’ils ne l’ont pas fait exprès.

Cela prouve que pour beaucoup de parents, ce qui compte quand ils demandent à leurs enfants de s’excuser, ce sont les éventuelles conséquences des faux pas de leur progéniture. D’après les données que nous avons collectées, les parents apprennent aux enfants à s’excuser pour les aider à gérer des situations sociales compliquées, quelles que soient les intentions de départ.

Par exemple, 88 % des parents indiquent qu’ils demanderaient à l’enfant de s’excuser s’il cassait le jouet d’un autre par erreur (dans l’hypothèse où l’enfant ne s’excuse pas spontanément).

De fait, les parents encouragent particulièrement leur enfant à s’excuser après un faux pas accidentel qui fait du tort à un autre enfant (et non à un adulte). Quand l’enfant s’en prend à l’un de ses pairs, les parents savent que s’il s’excuse, il pourra se réconcilier avec son camarade plutôt que de laisser le ressentiment s’installer.

Nous avons aussi demandé aux parents pourquoi il était si important d’inciter leurs enfants à s’excuser. Dans le cas des transgressions morales, les parents voient ces incitations comme des outils pour apprendre aux enfants à prendre leurs responsabilités. En outre, cela les aide à comprendre l’empathie, les notions de bien et de mal, et à savoir comment aider les autres à se sentir mieux, et à éclaircir des situations confuses.

Cependant, tous les parents n’ont pas la même vision des choses. Un petit groupe de parents nous est apparu assez permissif : ils sont affectueux et attentionnés mais pas spécialement enclins à inculquer de la discipline à leurs enfants, ni à attendre d’eux un comportement responsable.

Ces parents ne méprisent pas les excuses pour autant, mais ils sont beaucoup moins enclins à inciter leurs enfants à en présenter que les autres parents faisant l’objet de l’enquête.

Quand faut-il inciter les enfants à s’excuser ?

Globalement, les parents de notre étude considèrent que les excuses sont importantes pour les enfants, et les recherches menées sur la question prouvent que les enfants partagent ce point de vue.

Mais y a-t-il des façons plus ou moins efficaces d’encourager un enfant à s’excuser ? Selon moi, les parents devraient se demander si l’enfant présente des excuses sincères, et s’il le fait volontairement. Une étude récente nous montre pourquoi.

Dans cette étude nous avons demandé à des enfants âgés de 4 à 9 ans d’évaluer deux types d’excuses suggérées par un adulte. La première était délivrée volontairement à la victime, après simple incitation parentale : la seconde était délivrée sous la contrainte (« Il faut que tu lui dises que tu es désolé(e) ! »).

Nous avons découvert que 90 % des enfants considèrent que celui qui reçoit des excuses « volontaires » se sent mieux tandis que seuls 22 % des enfants pensent que des excuses forcées peuvent aider la victime à se sentir mieux.

Quand les parents se demandent s’il faut encourager leurs enfants à présenter des excuses, ils doivent se rappeler qu’il ne vaut mieux pas pousser un enfant à s’excuser s’il n’est pas prêt à le faire, ou simplement s’il ne ressent pas de remords. La plupart des enfants considèrent en effet que les excuses forcées sont inefficaces.

Dans ce genre de situations, rétablir le calme, chercher à augmenter le degré d’empathie et inciter l’enfant à faire amende honorable peut se révéler plus constructif que de forcer un petit qui n’en a pas envie à s’excuser. Même si, bien sûr, l’enfant peut aussi présenter des excuses volontaires tout en essayant de réparer ses torts (l’un n’empêche pas l’autre).

Les excuses ne sont pas que des mots que les enfants répètent comme des perroquets : n’oublions pas que les adultes usent aussi de rituels qui impliquent des échanges verbaux très codifiés, comme quand deux personnes qui s’aiment se disent « Oui, je le veux » lors d’un mariage.

De même que ces échanges codifiés peuvent revêtir un sens culturel et personnel profond, les mots qui servent à s’excuser jouent un rôle culturel de premier ordre. Apprendre avec conscience aux jeunes enfants à s’excuser est une façon de leur apprendre à prendre soin des autres et à être estimés au sein de leur communauté.

Par Craig Smith, chercheur à l’Université du Michigan

Source : Contre points