Blue Ivy habillée comme Beyoncé ou North West déguisée en Kim Kardashian : ce désir de conformité a-t-il des conséquences chez l’enfant et ses parents ?
Suri Cruise qui réclame des talons à quatre ans pour faire comme sa maman, Katie Holmes. North West habillée des modèles réduits des fourrures et nuisettes griffés de Kim Kardashian. Ou encore Blue Ivy Carter revêtue du même ensemble Gucci que Beyoncé. Comme un miroir amplifiant, les enfants de stars nous renvoient à cette habitude de certaines mères qui habillent leur progéniture comme elles. Florence Millot, psychologue pour enfants et adolescents établie à Paris, nous éclaire sur les risques engendrés par un tel désir de conformité.
Lefigaro.fr/madame.– Pensez-vous que cela soit un phénomène courant ?
Florence Millot, psychologue - Cela se retrouve surtout dans les familles aisées. Des mères narcissiques qui aiment beaucoup la mode. Mais cela n’est pas forcément malsain.
Il y a une période de fusion qui est normale à la naissance du bébé. On veut tout faire avec lui, y compris contrôler son apparence. Mais on doit ensuite l’accompagner vers l’autonomie pour qu’il développe sa propre personnalité, sa propre identité. Sans oublier que le conjoint peut se sentir exclu. L’enfant ne peut pas être à la fois habillé comme son père et comme sa mère alors cela crée des clans, ce qui est néfaste.
Que cherche à dire une mère qui habille son enfant comme elle ?
Au lieu d’accompagner son enfant vers l’autonomie, elle va dans le mouvement inverse par souci narcissique. Elle ne lui apprend pas à être lui-même mais à être comme elle. On appelle cela une « demande inconsciente ». Si la mère a l’impression d’être mieux que son enfant habillé comme une copie conforme d’elle-même, elle est valorisée. C’est une femme qui n’est pas à l’aise avec son âge, son identité, qui veut peut-être revivre sa jeunesse par procuration. De façon inconsciente, elle dit « Je me trouve belle et voici ma succession, ma prolongation ». C’est une façon de se rendre immortelle, de fixer une image de soi éternellement jeune.
Qu’est-ce que cela provoque dans la tête de l’enfant ?
Cela peut paraître amusant ou attendrissant de l’extérieur mais c’est très angoissant pour l’enfant. S’il est conditionné à être comme son parent, il n’existe pas par lui-même, son identité est troublée. Il peut avoir l’impression que sa mission dans la vie se limite à être comme son modèle et donc va l'idéaliser à outrance. S’il est mieux ou plus beau, cela peut créer une jalousie inconsciente chez sa mère, ce qui est très difficile à gérer psychologiquement pour l'enfant : il se retrouve dans une situation inconfortable où il pose problème à la personne qui est censée le protéger et dont il a besoin. À l’inverse, un enfant qui ne ressemble pas à sa mère très belle peut ressentir une pression énorme à l’idée de vouloir lui ressembler pour la satisfaire. Dans tous les cas, cela peut conduire à des problèmes d’estime.
Il y a une différence cruciale entre l’injonction « sois comme moi » qui est un désir inconscient du parent, et l’envie de l’enfant « je rêve d’être aussi forte ou aussi belle que toi, maman » qui est son propre choix et doit être encouragé.
Si un enfant réclame spontanément à s’habiller comme sa mère, doit-on le laisser faire ?
Là, c’est à la mère de décider, de voir si elle en a envie ou pas. Mais cela reste assez rare. Parce que si la mère est elle-même, elle est habillée comme une femme de son âge, et son enfant voudra naturellement être habillé comme quelqu’un de son âge. Après il peut toujours réclamer un petit objet, des accessoires, le même bijou, pour faire comme maman, et cela n’a rien de dangereux.
À partir de quel âge peut-on le laisser s’habiller comme il l’entend ?
Cela dépend des parents, il n’y a pas de règles. C’est une question d’argent aussi. Donc on peut parfaitement le laisser s’habiller comme il le veut à partir de ce qui se trouve déjà dans son armoire, et en l’amenant à être raisonnable par rapport à la météo. À partir de 10 ans, les enfants veulent faire partie d’un groupe et veulent donc les attributs qui vont avec. À l’adolescence, c’est particulièrement important pour lui. On peut l’aider à développer son style, regarder avec lui des magazines, le guider vers ce qui le met en valeur dans les magasins. C’est très valorisant pour l’enfant de se savoir accompagné vers sa propre autonomie, de comprendre « la seule chose que veut maman, c'est que je sois moi-même »
Pourquoi est-ce que l'on trouve des mères et leurs filles habillées de la même manière attendrissant ?
Les gens aiment beaucoup constater que des gens sont identiques. C’est difficile pour l’être humain de se détacher de son clan familial, alors quand on constate chez d’autres que des enfants sont très rattachés à leurs parents par l’apparence, cela nous rassure, nous renvoie à notre propre désir de fusion, de cocon familial. Plus on se ressemble, plus c’est sécurisant. Mais c’est un fantasme. Le vêtement peut accentuer les ressemblances, ou au contraire les dissemblances de façon négative pour un parent qui voudrait à tout prix que son enfant lui ressemble. Ce qui peut être très dur à porter car les deux sont perdants : la mère va voir qu’elle vieillit pendant que son enfant embellit tandis que ce dernier va avoir l’impression de la décevoir.
Selon vous, pourquoi ce phénomène est-il particulièrement criant, voire alarmant chez les célébrités ?
Chez les stars, on peut imaginer une volonté de se survivre, de laisser une trace de soi après sa mort. Le parent recommence à zéro et en plus jeune à travers son enfant. Forcément, cela joue sur l’estime de soi puisqu’il n’a aucune place pour lui. Cela peut entraîner des périodes de crise ou de rébellion graves puisque l’enfant a l’impression d’avoir la même place que l’adulte, de lui être égal puisqu’il en est le miroir, et donc d’être en droit de se révolter.
Dans notre société de consommation du tout, tout de suite, un enfant qui a absolument tout ce qu’il désire, peu importe le budget, à 5 ou 6 ans n’a pas de parcours à effectuer. La part de rêve est annulée. Or, elle est essentielle à son développement cognitif, identitaire et social. Si l’enfant rêve d’être comme son père ou sa mère célèbres, qu’il possède tout comme eux, mais qu’il n’en aura pas forcément les moyens une fois adulte, il se verra alors enfermé dans une frustration difficile à dépasser. La capacité à rêver et à être soi-même est fondamentale. Un parent qui dicte tout à son enfant, comment s’habiller, et donc qui il doit être, le prépare mal à l’avenir.
Par Anthony Vincent
Source : Lefigaro.fr/madame