Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit. (Déclaration universelle des droits de l’homme, Art. 19)
L'enfant a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l'enfant. (Convention relative aux droits de l’enfant, Art. 13)
Les enfants et la liberté d’expression en un mot
La liberté d’expression fait rarement partie des plaidoyers sur les droits des enfants – en tout cas en tant que problématique principale – bien qu’elle soit primordiale à la réalisation de tous les droits des enfants. En fait, ce droit est un bon point de repère pour évaluer comment sont perçu les enfants par la société, car l’étendue de la liberté d’expression de leurs opinions et sentiments montre à quel point ils sont reconnus en tant que détenteurs de droit.
Dans le cas où on empêche les enfants de détenir ou d’exprimer des opinions, ou encore de recevoir des informations par le biais des médias (sauf quelques exceptions spécifiques), comment peuvent-ils être à même de décrire les situations dans lesquelles leurs droits sont respectés, remplis et protégés ou au contraire violés ?
De manière similaire, les organisations et agences d’informations tels que CRIN doivent dans tous les pays de toutes les régions du monde être certains que l’information qu’ils circulent ne sera pas soumise à des interférences excessives.
Depuis que le 3 mai est la journée de la liberté de la presse, rappelant aux gens la signification du droit à la liberté d’expression, nous avons l’opportunité d’explorer la signification et la pertinence de ce droit pour les enfants, une opportunité que CRIN saisira chaque année à cette date.
Le droit à la liberté d’expression, incarné par l’article 13 de la Convention relative aux droits de l’enfant, est très lié à l’article 12 sur le droit à la participation. Cependant, le Comité des droits de l’enfant a noté que, alors que les articles sont fortement liés, ils développent des droits différents. Dans son récent commentaire général sur l’article 12, le Comité a déclaré: “La liberté d’expression relève du droit d’avoir et d’exprimer des opinions ainsi que de chercher et recevoir des informations à travers n’importe quel média. Il revendique le droit de l’enfant à ne pas être restreint par l’Etat partie dans l’expression de ses propres opinions. Telle quelle, l’obligation ainsi imposée aux Etats parties est de s’abstenir d’intervenir dans l’expression de ces opinions ou dans l’accès à l’information, tout en protégeant le droit d’accès à des moyens de communication et de dialogue public.”
D’un autre côté, le Comité continue :“L’article 12…se rapporte au droit d’expression des opinions en particulier dans le cas des affaires affectant l’enfant, et au droit d’être impliqué dans des actions et des décisions qui influencent sa vie. ”
Le Comité a aussi noté les différentes obligations créées par les différents articles. Il dit : “L’article 12 impose une obligation aux Etats parties de mettre en place un cadre juridique et les mécanismes nécessaires pour faciliter la participation active de l’enfant dans toutes les actions le concernant ainsi que dans la prise de décisions et de remplir leur obligation de donner un poids à la hauteur de ces opinions ainsi exprimées. La liberté d’expression dans l’article 13 ne nécessite pas un tel engagement ou réponse de la part des Etats parties. Cependant, la création d’un environnement respectueux dans lequel les enfants pourront exprimer leurs opinions, en accord avec l’article 12, contribue également au développement des capacités de l’enfant à exercer son droit à la liberté d’expression.”
D’autres articles de la Convention relative aux droits de l’enfant font également mention de la liberté d’expression. L’article 17 est tout particulièrement pertinent et vise les médias. Il exige des Etats qu’ils “reconnaissent le rôle important joué par les médias et garantissent l’accès par l’enfant à toute information et matériel provenant d’une large gamme de sources nationales et internationales, principalement ceux visant à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral, ainsi que sa santé physique et mentale.”
L’article 14 exige des Etats le respect du droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion. L’article 15 est également primordial pour la réalisation du droit à la liberté d’expression. Il concerne les droits de l’enfant à la liberté d’association et à la liberté de réunion pacifique. Limiter le droit des enfants à s’assembler va bien évidemment également limiter leur droit de s’exprimer.
Le droit des enfants à la liberté d’expression est aussi formulé dans d’autres documents thématiques. Par exemple, le commentaire général du Comité des droits de l’enfant sur le VIH/SIDA déclare que les enfants devraient avoir l’opportunité de parler de leurs expériences du virus.
Exemples de violation de la liberté d’expression des enfants
En Turquie, un rapport de l'organisation BİA2 décrit la façon dont les enfants ont été empêchés d’exercer leur liberté d’expression. Comme les cas d’un enfant de 10 ans détenu pour avoir donné des leçons de kurde à d’autres enfants et d’un enfant de 13 ans traduit en justice pour avoir dit ‘Dieu te maudit’ au Premier ministre. Le président de l’association pour les droits de l’homme (İHD) à Adana, dans le sud de la Turquie a été traduit en justice après avoir publiquement critiqué l’arrestation et la punition d’enfants ayant pris part à des manifestations. Il a été mis en examen pour "dissémination de propagande du parti kurde (PKK)", mais est maintenant en procès pour "incitation à la haine et à l’hostilité."
En Géorgie, le Comité des droits de l’enfant a exprimé son inquiétude face au manque de garanties juridiques pour la liberté d’expression des moins de 18 ans et l’attention inadéquate accordée à la promotion et au respect du droit de l’enfant à la liberté d’expression. Il est soucieux que des attitudes sociétales traditionnelles qui prévalent, dans la famille et dans d’autres environnements en rapport avec le rôle de l’enfant semblent rendre difficile la recherche et le partage libre d’informations par les enfants.
Aux Maldives, le Comité a exprimé son intérêt à l’égard de l’accès limité des enfants à des informations et du matériel provenant de sources nationales et internationales. Il “est particulièrement préoccupé par le fait que faute de bibliothèques sur les atolls, les enfants n’ont qu’un accès extrêmement limité à des textes de lecture.”
Au Timor-Leste, le Comité a remarqué que “de nombreux enfants dans l’État partie n’ont qu’un accès limité aux médias et aux autres sources d’information.”
Au Soudan, Reporters sans frontières (RSF) ont fait appel aux autorités pour déverrouiller l’accès au site internet de contrôle des votes du pays, qui avait été partiellement ou totalement bloqué pendant 6 jours. Un représentant du site a dit: “Notre technologie apporte presque une image en temps réel de ce qui s'est passé sur le terrain au moment des élections. Les utilisateurs ont accès à de l’information mise à jour y compris des vidéos diffusées en flux dans tout le Soudan, allant d’un centre d’élection à Khartoum, à un bureau de vote à Juba, ou à un coin reculé du pays.”
En Honduras, six journalistes ont été tués depuis le début de l’année 2010. Luis Antonio Chévez Hernández, 22 ans, un présentateur de la Radio W105, a été assassiné dans la ville de San Pedro Sula, au nord-ouest du pays le 13 avril. Dans certains incidents, les enfants de journalistes ont été pris pour cible et même tués.
Au Venezuela, le Comité a soulevé la question de l’accès à l’information des groupes de minorités. Il mentionne que “les enfants indigènes et de descendance afro ne reçoivent pas d’informations suffisantes en rapport avec leurs besoins.”
En 2003, dans la République de Corée, le Comité a déclaré qu’il “est préoccupé par les restrictions à la liberté d’expression et d’association des étudiants résultant du rigoureux contrôle administratif auquel sont soumis les conseils d’étudiants et des règlements scolaires qui interdisent aux élèves des écoles élémentaires et secondaires de mener des activités politiques à l’extérieur de l’école ou les limitent. Il est en outre préoccupé par les allégations selon lesquelles des groupes de discussion Internet indépendants créés par des adolescents auraient été arbitrairement fermés par les autorités.”
En Malaisie, le Comité a fait état de ses préoccupations face au fait “que le droit de l’enfant à la liberté d’expression, y compris le droit de présenter des plaintes publiquement et de recevoir des informations, et son droit à la liberté d’association et de réunion pacifique ne sont pas pleinement garantis dans la pratique.”
“Des restrictions sévères” du droit à la liberté d’expression et le manque de médias libres en Érythrée ont été blâmés pour l’accès limité des enfants à l’information. En mai 2009, en Jordanie, Human Rights Watch faisait rapport que les nouveaux amendements à la loi des sociétés de 2008 ne modifiaient pas les insuffisances majeures qui violent le droit à s’associer librement, en particulier le droit des enfants à s’associer.
Limitations à la liberté d’expression des enfants
Il existe des situations dans lesquelles les droits de l’enfant à la liberté d’expression peuvent être limités. Par exemple, il y a un souci global concernant l’accès des enfants à des informations néfastes sur internet, ou à des sites internet à travers lesquels les enfants peuvent être mis en danger.
Des règles strictes gouvernent également la distribution d’informations dans les médias pouvant mener à l’identification d’enfants particulièrement vulnérables, principalement quand ces enfants ont, par exemple, souffert un type d’abus. Cependant, de telles restrictions devraient être en balance avec le droit des enfants à recevoir et à communiquer des informations à travers différents médias.
En fait, les arguments formulés dans le jargon de protection de l’enfance ont fréquemment été utilisés comme motifs de violations des droits de l’enfant. Par exemple, en Lituanie, le Parlement national a été critiqué pour avoir soutenu une proposition de loi qui censurait l’accès à certaines informations par les mineurs, notamment l’homosexualité. La loi décrite par un parlementaire comme “un crachat au visage des valeurs européennes”, interdit “la propagande pour l’homosexualité et la bisexualité” en tant qu’un des principaux “effecteurs préjudiciables” aux enfants. Cela serait également d’application ‘à d’autres endroits accessibles aux jeunes’.
Amnesty International a prévenu que la loi pourrait être utilisée pour interdire toute discussion légitime sur l’homosexualité, empêcher le travail des défenseurs de droits de l’homme et pour accentuer la stigmatisation - ainsi que leur préjudice- des personnes homosexuelles, bisexuelles et transsexuelles en Lituanie. "Cette loi est une violation évidente de la liberté d’expression et des droits de non-discrimination et devrait être abrogée immédiatement," a déclaré le militant des droits LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) d’Amnesty International Angleterre, Kim Manning-Cooper.
Pendant ce temps, le Comité européen des droits sociaux, qui surveille la conformité des Etats avec la Charte sociale européenne, a récemment découvert que le curriculum limité de la Croatie sur l’éducation sexuelle discriminait sur la base de l’orientation sexuelle. La plainte prétend qu’un des programmes d’éducation sexuelle sponsorisé par l’Etat, TeenStar, violait les droits basiques à la santé et à la non-discrimination des jeunes gens. Le curriculum de TeenStar basé sur l’abstinence enseigne que les préservatifs n’empêchent pas la transmission du VIH et autres maladies sexuellement transmissibles, que les relations homosexuelles sont “déviantes” et que les mères au foyer sont ce qu’il y a de mieux pour les familles.
Au Vénézuela, des lois restrictives des médias ont été édictées “sous le prétexte de protéger les enfants contre le langage grossier, le contenu sexuel et la violence.”
Source: CRIN