Violences faites aux enfants : quand l'école alerte

mar, 03/07/2017 - 11:25 -- siteadmin

En première ligne dans la prévention de la maltraitance, les enseignants font annuellement quelque 8600 signalements au Procureur de la république et transmettent plus de 37.200 «informations préoccupantes», soit 3,5‰ des effectifs scolarisés.

«Enzo (*) tape, mord, se jette par terre, refuse de se relever. À six ans, il est totalement dépressif. La première fois que j'ai constaté que son père buvait -information que j'ai transmise à mon inspecteur-, c'était il y a un an. Puis, il y a quatre mois, face à la détresse de cet élève, j'ai demandé à la psychologue scolaire de faire des tests. Ils ont révélé qu'il subirait des attouchements de la part de sa mère ou de son beau-père, et qu'il serait battu par l'un de ses frères jusqu'alors placé. J'ai fait un signalement auprès du Procureur de la République. Je sais que la famille est enquêtée. Pas plus. J'ai essayé de joindre la Crip (Cellule de recueil et d'informations préoccupantes, NDLR). Sans obtenir d'information. À mon niveau, rien ne bouge. Enzo vient à l'école. Il est toujours aussi mal». En cinq ans de direction d'école maternelle, Helena (*), 43 ans, plus de 20 ans d'enseignement derrière elle, a procédé à deux signalements de violence sur enfants. «Des situations gravissimes, urgentissimes, en général des cas de maltraitances physiques et sexuelles», résume l'enseignante.

En première ligne dans la prévention de la maltraitance des enfants, l'Éducation nationale fait partie intégrante du plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, présenté ce 1er mars par la ministre de la famille, Laurence Rossignol. Ce plan interministériel vient rappeler l'obligation d'affichage du numéro vert «119» Allo enfance en danger (**) dans les établissements scolaires (et tous les lieux accueillant des mineurs), ainsi que la nécessaire formation des enseignants et autres personnels d'éducation au sujet des maltraitances.

«L'enseignant ne doit pas être seul»

Selon les derniers chiffres disponibles, les personnels de l'Éducation nationale ont procédé en 2014 à 37.247 «informations préoccupantes» (IP) au président du conseil départemental, soit environ 3,5‰ des effectifs scolarisés et ont fait 8677 signalements au procureur. «L'école est souvent la première institution à dire, et notamment la maternelle, où les enfants ne maîtrisent pas encore forcément le langage, où se révèlent les troubles du comportement, les difficultés sociales et scolaires», indique Helena.

Depuis plusieurs années, le protocole est plutôt bien huilé. «La circulaire Royal de 1998, invitant les enseignants, en cas de suspicions de violence, à saisir les autorités sans intermédiaire, a fait beaucoup de dégâts, tant du côté des familles que des professeurs, rappelle Pierre Favre, président du Syndicat national des écoles (SNE). Depuis, l'Éducation nationale a mis en place un protocole clair impliquant l'inspecteur, l'infirmière, le médecin scolaire, le psychologue... L'enseignant ne doit pas être seul». En 20 ans de direction d'école, Pierre Favre explique avoir lui même fait quatre signalements - «des violences physiques avérées, des enfants à peine habillés en plein hiver...»- et une «information préoccupante» (IP) par an.

De cruels cas de conscience

Comment distinguer ces deux cas de figure? L'information préoccupante concerne les enfants «en danger ou risque de danger (santé, sécurité, moralité, éducation, entretien», explique l'Éducation nationale. Elle doit être adressée à la cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) , ainsi qu'à la hiérarchie. Le signalement, qui doit être envoyé au Procureur de la République, concerne, lui, un «danger grave ou imminent». Voilà pour la théorie. Dans la pratique, ce sont l'expérience de l'enseignant et sa capacité de discernement qui font toute la différence. Et malgré tout, ces situations difficiles le confrontent à de cruels cas de conscience.

«Je suis à peu près certaine à 100% qu'une de mes élèves, âgée de 8 ans, est maltraitée mais cet «à peu près» me gêne et je me pose plein de questions sur les conséquences du signalement»... Sur les forums d'enseignants, ce type de questionnement n'est pas rare. Le manque d'hygiène est-il un cas de maltraitance? Des enfants sont-ils en danger lorsque leurs parents cultivent du cannabis chez eux? Que faire lorsqu'un élève supplie pour ne pas avoir un mot dans son carnet de correspondance, expliquant que ses parents risquent de lui donner une douche froide?

«On nous répond «secret médical», ou «secret de l'instruction»»

«On se dit toujours que l'on peut se tromper. Mais mieux vaut prendre le risque de bouleverser une famille en demandant aux parents de s'expliquer, plutôt que de laisser un enfant qui ne peut pas dénoncer à sa solitude», résume Helena. Dans ces affaires douloureuses, la directrice avoue sa frustration à ne pas avoir de retour des services sociaux. «On nous répond «secret médical», ou «secret de l'instruction»», poursuit-elle, avant de raconter l'histoire de cette petite fille expliquant à l'école qu'elle regardait avec son père un film ressemblant de près à un film pornographique. «Les enseignants ont été entendus par la brigade des mineurs, mais nous n'en avons pas su davantage».

«Cette frustration est compréhensible, estime Pierre Favre du SNE. Pour les enseignants, la tentation de sauver le monde est toujours grande! Mais l'image de «L'Instit», incarné dans la série télé par Gérard Klein, sillonnant la France à moto pour psychanalyser les familles, reste un mythe. Les enseignants doivent alerter, mais laisser ensuite les professionnels concernés agir», conclut-il.

*Les prénoms ont été changés

** Environ 33 000 appels par an, 90 par jours, dont 10% émanant d'enfants. Les violences physiques et psychologiques, souvent associées, représentent 6 dangers sur 10.

Source : Le Figaro

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/03/01/01016-20170301ARTFIG00146-violences-faites-aux-enfants-quand-l-ecole-alerte.php