La ministre des familles, Laurence Rossignol, lance une série de mesures pour mieux repérer et prévenir les cas de maltraitance.
« Sortir les violences faites aux enfants de l’invisible et de l’indicible. » Tel est l’objectif de la ministre des familles Laurence Rossignol, qui va annoncer, mercredi 1er mars, le premier plan interministériel consacré à ce sujet. Pour expliquer ce lancement en fin de mandature, elle met en avant l’expérience acquise à la tête de son ministère, où elle a été nommée en février 2016, qui réunit les familles, l’enfance et les droits des femmes (qualifié à l’époque de triptyque rétrograde par certaines féministes).
« Les violences faites aux femmes sont sorties de l’invisibilité, avait-elle expliqué lors de ses vœux, le 23 janvier. Ce n’est pas le cas des violences exercées sur les enfants. Elles ne viennent nous bouleverser que lorsqu’un drame se produit. Les voisins ne disent rien, puis organisent des marches blanches. Il faut sortir de l’idée que faire un signalement serait faire de la délation. Si un enfant est en souffrance, notre devoir à tous est de l’aider. » Derniers cas en date : Yanis, 5 ans, mort début février après une punition pour avoir fait pipi au lit, et Kenzo, 21 mois, décédé sous les coups mi-février.
L’invisibilité tient en grande partie à l’absence de chiffres fiables. Désormais, chacun sait qu’une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Rien de tel concernant les violences sur les enfants. Une enquête menée sous la direction d’Anne Tursz, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les décès suspects d’enfants de moins d’un an sur la période de 1996 à 2000 avait abouti au chiffre de 255 morts par an.
« Penser l’impensable »
En extrapolant ce résultat, la chercheuse était arrivée à une hypothèse de 400 à 800 décès de mineurs de moins de 15 ans sous les coups de leurs parents, soit environ deux morts par jour. Obtenir un décompte précis, en croisant les chiffres des ministères de l’intérieur, de la justice, et de la santé, fait partie des objectifs du plan. Un meilleur repérage des bébés morts après avoir été secoués également. Aujourd’hui, les examens post-mortem sur les enfants décédés sans cause apparente ne sont permis que lorsque les familles donnent leur accord.
Les ministères de la justice et de santé vont rappeler aux professionnels qu’ils sont dans l’obligation de tenter d’établir les causes du décès en cas de suspicion de violences. « Un nombre non négligeable d’homicides ne sont pas décelés, a affirmé , Mme Rossignol en présentant son plan à la presse, mardi 28 février. Il faut être suspicieux. »
Une campagne de communication destinée à faire connaître le 119, numéro destiné au grand public, intitulée « Enfants en danger : dans le doute, agissez ! » sera également lancée. L’objectif est « d’amener tout le monde à penser l’impensable », avait expliqué Mme Rossignol le 23 janvier. À savoir que la famille peut être un lieu de violences.
La loi fait obligation de signaler une situation de danger vécue par un enfant ou un jeune, qu’il s’agisse d’un danger immédiat (violences physiques ou sexuelles), mais aussi de violences psychologiques, de carences éducatives, ou de négligences graves (enfants laissés souvent seuls ou sans soins). « On sait désormais que la négligence fait courir d’importants risques de développement », explique Chantal Rimbault, directrice de l’enfance et de la jeunesse dans le département du Val-de-Marne.
Désignation d’un référent dans chaque hôpital
Un partenariat entre le 119 et le 3919, numéro d’appel destiné aux femmes victimes de violences, sera également signé, afin de basculer les appels des femmes victimes de violences qui ont des enfants vers le numéro de l’enfance en danger. Assister à des violences conjugales a des effets sur la santé des enfants et constitue une forme de maltraitance. « Tout enfant qui assiste à des violences conjugales est présumé victime », précise Mme Rossignol.
« Le plan contient des choses très intéressantes, par exemple la désignation d’un référent sur les violences faites aux enfants dans chaque hôpital, qui va contraindre ce monde à se pencher sur cette question », relève Anne Tursz. « Cette mesure va permettre aux soignants de savoir à qui s’adresser quand une situation les trouble », affirme Mme Rossignol. Aujourd’hui, le monde médical est à l’origine de seulement 5 % des informations préoccupantes envoyées aux départements, chargés de la protection de l’enfance.
Le ministère souhaite prévenir l’exposition des mineurs à la pornographie sur Internet, qui « véhicule une image déformée de la sexualité », selon Mme Rossignol. « L’âge moyen auquel les premières images sont visionnées est de 11 ans », rappelle-t-elle. Elle proposera notamment aux opérateurs d’installer le contrôle parental par défaut sur les systèmes d’exploitation.
La promotion d’une éducation sans violences est également prévue. L’interdiction d’exercer des violences et châtiments corporels sur les enfants a certes été censurée par le Conseil constitutionnel le 26 janvier pour des raisons de forme. Mais le travail de sensibilisation au travers d’un livret de conseils envoyé aux parents par les caisses d’allocations familiales sera poursuivi.
Source : Le Monde