À la galerie P 21 de la capitale british, « Tints of Resilience » invite le public à partager une expérience artistique vécue avec les enfants d’un camp de réfugiés syriens au Liban.
Lire la situation du monde et des migrants fuyant la grande faucheuse à partir de cette exposition pourrait plonger le spectateur dans un terrible désarroi. Mais cette expérience artistique interdisciplinaire, qui rassemble photographies, poèmes, projections et dessins, a le mérite de rappeler au monde que l’enfant a des droits, que sa voix doit être entendue, son chemin protégé et que la résilience est une faculté réservée aux adultes que des milliers de petits êtres expérimentent bien trop tôt. Pour sa première exposition à Londres, la curatrice et artiste libanaise Rania Mneimé, qui croit fermement dans la capacité de l’art et de l’imagination à transformer les sociétés et à son influence positive sur les désœuvrés, les orphelins et les amputés de l’amour, a travaillé étroitement pour la communication et la conception de ce projet avec des organisations régionales non proactives telles qu’Agir pour les disparus, et le CICR (Comité international de la Croix-Rouge). Elle invite dix artistes internationaux, résidant au Liban ou ayant vécu au Moyen-Orient – Ghaleb Hawila (artiste
n° 3 du mois de mars du prix OLJ-SGBL Génération Orient saison 3), Anas Albraehe, Ayman Nahlé, Diala Brisly, Dima Nachawi, Ghassan Ismaïl, Margaux Chalançon, Nour Huda, Youssef Doughan, Zeina Kanawati –, à utiliser l’art comme langage universel, et à approcher cette cause, chacun à sa manière, et participe elle-même au défi.
On a tous besoin d’un giletde sauvetage
Diala Brisly, née en 1980, est une artiste syrienne qui, après avoir été dessinatrice à la chaîne syrienne pour enfants Spacetoon, étend son champ de travail pour se lancer dans l’animation, l’illustration, la conception de personnages ludiques et l’art conceptuel.
Quoi de plus naturel que d’y consacrer son talent lorsqu’on a si longtemps gravité autour de l’innocence et que celle-ci se trouve menacée ? Fuyant son pays mutilé, elle regagne le Liban pour collaborer avec des ONG comme Alphabet for Alternative Education (pour les enfants de 3 à 14 ans) et s’installe dans un camp de réfugiés où elle œuvre à combattre l’obscurité de la guerre et l’expérience de la perte pour développer à travers son art un fort sentiment d’optimisme ou encore une rébellion contre la défaite plantée dans le regard éteint de milliers d’enfants. C’est ainsi qu’en 2014, elle commence à réaliser des peintures murales sur des tentes scolaires pour améliorer leur quotidien visuel, à les pousser à gagner en indépendance en participant aux projets et à organiser des ateliers d’art pour favoriser l’accès à l’éducation des enfants réfugiés. Elle arrive ainsi à substituer dans leur mémoire collective aux armes à feu la puissance du crayon ou du pinceau. « Il m’est apparu plus tard, dit-elle, que je pouvais aussi bénéficier personnellement de cet exercice, et c’est ainsi que j’ai commencé à peindre le mode Survie, un souvenir intime de mon parcours personnel et de ma survie à travers la guerre et la migration. »
Rejoindre le camp de l’amour
Ghaleb Hawila, né en 1993 à Tyr au Liban-Sud, a pris le parti de faire participer les enfants à son projet. C’est un travail de collaboration entre l’artiste et les enfants réfugiés où le jeu et l’art se mêlent dans de belles touches de peinture et de vers calligraphiques. Loin des champs de bataille qui sèment la mort, les enfants armés de pinceaux se livrent à un combat, pour éclabousser de leur innocence d’énormes bâches de tissu que l’artiste reprendra avec son art calligraphique si particulier et reproduira ainsi des vers tirés d’un poème du célèbre poète libanais Élia Abou Madi. Migrating Letters est une belle métaphore pour illustrer la migration et la propagation de l’art en vue d’une reconnaissance collective dans tous les foyers du monde où d’autres enfants dorment à l’abri de la souffrance et rêvent de lendemains ordinaires. Son travail provient d’une compréhension profonde de l’héritage du Moyen-Orient, des voies spirituelles et de la recherche continue de l’origine, de la cause et de l’effet. Dans le même registre calligraphique, Ghassan Ismaïl exprime la destruction des maisons, de la culture et des archives due à la guerre. Il exprime cette perte à travers des lettres calligraphiques tout en suggérant l’espoir par la capacité humaine de se renouveler au moyen de l’art.
Dima Nachawi a utilisé la délicatesse de sa pointe pour raconter l’histoire (tirée d’un livre de Zeina Kanawati) d’une petite fille. Safia, sourde-muette, n’a pas entendu la guerre arriver et n’a pas vu son village se vider. Elle tricote à l’aide d’un fil rouge son existence, un morceau de tissu qui prendra la taille d’une maison. Quand la chaleur du feu de la guerre viendra frôler son épiderme, la petite fille déversera des larmes géantes qui déferleront sur le village pour le noyer dans une énorme mer et ainsi le sauver. Aussi délicat que le fil de Safia, le trait rouge de l’artiste se noue et se dénoue à travers le parcours de ces toiles.
Ayman Nahlé, artiste libanais né au Liban-Sud, a étudié le cinéma et le théâtre ; Margaux Chalançon, artiste française installée à Beyrouth, est photographe et documentariste ; Youssef Doughan, né à Beyrouth, est spécialiste en imagerie numérique. Suspendus entre les rayons de lumière qui illuminaient le camp, avec un jeu de beauté, de passion et de couleurs, ils ont tous les trois, par des documentaires, des photographies ou des films, participé à l’aventure. Ainsi Nahlé a réalisé un court-métrage où se mêlent les destins de deux petites filles. Dans une métaphore visuelle, son récit vacille entre réalité et fiction, et la part de rêve prend place dans l’espace du camp.
Youssef Doughan travaille dans l’ombre de Diala Brisly pour capturer son travail et celui des enfants, l’honorer et l’immortaliser, et Margaux Chalançon réalise une collection d’images comme un témoignage visuel de l’individualité et du caractère unique du monde de Zoubeida, âgée de onze ans et résidente au camp.
Sans jamais être sinistres, les œuvres, tantôt percutantes ou ludiques, tantôt réalistes ou poétiques, confrontent le spectateur – qui reçoit en pleine figure la force d’un souffle humaniste et salvateur – à une cinglante réalité. Portée par le soin d’éveiller la conscience collective aux maux qui secouent la planète, cette exposition reste à décoder tels des témoignages de la violence et de la perte, et place l’art au cœur de l’adversité, en examinant sa capacité à se reconnecter et à maintenir les liens avec la maison, les hommes et la tradition.
Source : L’Orient Le Jour