Les devoirs à la maison, pomme de discorde entre les parents et l'Éducation nationale

jeu, 04/20/2017 - 00:39 -- siteadmin

Pour la FCPE, principale fédération de parents d'élèves de l'enseignement public -proche de la gauche- qui sort une étude sur le sujet, les devoirs à la maison, en primaire, constituent un facteur d'inégalité supplémentaire.

La polémique resurgit à chaque période de vacances scolaires. La semaine dernière, une mère postait sur Twitter la photo des nombreux devoirs que devait réaliser sa fillette de 10 ans en quinze jours: lecture d'un roman avec résumé à rédiger, lecture d'un conte, cinq leçons à apprendre ainsi qu'une poésie. Enfin une quinzaine d'exercices en français et mathématiques à rendre. «Ma fille est une excellente élève mais quid de ceux qui vont galérer sans aide à la maison?», interrogeait-elle. En octobre dernier, Zupdeco militait comme bien d'autres associations populaires avant elle pour l'interdiction des devoirs. Pourtant, officiellement, le ministère le serine, circulaire après circulaire depuis 1956: les devoirs écrits doivent être proscrits ou fortement limités. Considérés comme peu efficaces, ils «présentent un intérêt éducatif limité», écrivait cette année là l'éducation nationale qui dénonçait un surplus de travail entraînant une «fatigue préjudiciable à la santé physique et à l'équilibre nerveux des enfants». L'injonction était déjà présente dans un arrêté organique datant de 1887. Mais parents et professeurs ne l'entendent pas de cette oreille et les devoirs sont très répandus à l'école primaire. Un professeur qui ne donne pas de devoirs est souvent considéré comme laxiste.

Une réglementation ambiguë

La réglementation n'est pas simple selon une récente note d'Étienne Douat, maître de conférences en sociologie à l'université de Poitiers, mise en avant ce mardi 18 avril par la FCPE, la première fédération de parents d'élèves du public -classée à gauche- qui milite pour l'abolition des devoirs depuis toujours. Cette étude rappelle que la réglementation en matière de travail hors de la classe au niveau du primaire «est ambiguë». Certes, l'écrit est censé être interdit mais les leçons orales sont autorisées. «Une telle partition entre ce qui est supposé relever de l'oral ou de l'écrit laisse sans réponses toute une série de questions sur ce qu'implique par exemple “réviser une leçon”: faut-il reconstruire un plan, faire un résumé, surligner les mots-clefs, réaliser des schémas?, interroge-t-il. Autrement dit, dans quelle mesure convient-il, malgré tout, de recourir à des opérations d'écriture pour tel ou tel apprentissage?»

L'institution apparaît d'autant plus décalée avec ses propres injonctions que, depuis les années 1980-1990, on assiste à une inflation des dispositifs d'aide à la scolarité: accompagnement éducatif, soutien scolaire, coaching scolaire. «La légitimité du travail scolaire hors l'école semble peu discutée. Plusieurs enquêtes montrent que les familles tendent à partager avec les enseignants l'idée que les devoirs sont indispensables à la «fixation des apprentissages réalisés en classe» et indissociables d'une «bonne scolarité», observe Étienne Douat. En 2013, une majorité de parents de la Peep, deuxième fédération de parents d'élèves du public (60 %) se disaient d'ailleurs toujours très attachés, dans un sondage, à ce que leurs enfants fassent des devoirs à la maison.

L'institution se décharge sur les familles

Le chercheur propose de «rompre» avec cette évidence. Pour lui, les devoirs sont constituent surtout un facteur d'accroissement des inégalités entre les élèves, au sein d'une école déjà très inégalitaire en fonction de l'origine sociale, comme le démontre préiodiquement le classement international PISA...La réalisation adéquate des devoirs réclame «un certain style de vie, des ressources matérielles, une organisation domestique particulière, la présence et la disponibilité quotidiennes d'un parent doté d'un minimum de capital scolaire», rappelle-t-il. Un logement exigu pour une famille nombreuse, l'absence d'un bureau relativement calme «ne sont pas des dimensions anodines ou secondaires, mais rendent improbables la réalisation des devoirs», écrit-il. De la même manière, les horaires de travail des parents qui travaillent parfois tard ou leur fragilité professionnelle, compliquent ce suivi.

Pour les populations dont les modes de vie sont les plus dissonants par rapport aux exigences de l'école, l'expérience régulière de cet impossible suivi du travail scolaire de leur enfant peut «générer un sentiment d'impuissance». Quant aux familles qui ont la possibilité d'intervenir pour aider leurs enfants, elles sont parfois décalées par rapport à l'école, voire «contraires aux normes scolaires». Confrontés à la consigne «parfois opaque des enseignants» et ayant été scolarisés suivant des schémas pédagogiques (misant sur l'apprentissage par cœur, par exemple) aujourd'hui dévalorisés par l'école - qui privilégie plutôt l'appropriation des moyens de construire des savoirs - les parents peuvent être «désorientés» et contribuer, sans le vouloir, à renforcer chez leurs enfants des «malentendus».

Exacerbation des conflits

Enfin, Étienne Douat accuse l'institution de se décharger facilement sur les familles. Cette externalisation du travail scolaire peut être considérée «comme une habitude pratique permettant de soutenir la tendance de l'éducation nationale à situer l'essentiel des problèmes et les causes de “l'échec” de l'enfant au niveau de la famille». Par ailleurs, potentiellement dans tous les milieux sociaux, le rituel des devoirs, parce qu'il est exigeant et suppose un certain exercice de l'autorité, une organisation particulière et une mobilisation parentale contraignante, «est susceptible de nourrir et d'exacerber les conflits intrafamiliaux», insiste-t-il.

L'auteur engage les politiques qui n'ont «pas renoncé à la démocratisation scolaire d'étudier sérieusement une option»: faire en sorte que les devoirs soient faits à l'école. Un vœu pieux? Beaucoup l'ont proposé dans le passé sans le mettre en œuvre. «Les devoirs doivent pouvoir être faits à l'école plutôt qu'à la maison, pour accompagner les enfants et rétablir l'égalité», affirmait ainsi François Hollande en 2012. De fait, jusqu'au milieu du XXème siècle, le temps de «cours» à proprement parler n'excédait pas trois heures par jour ; le reste était consacré à «l'étude», directement avec le professeur ou sous la responsabilité de moniteurs plus âgés.

Les bons élèves très suivis à la maison

On peut rappeler à ce chercheur d'autres évidences, que son étude militante ne soulève pas. Dans un livre publié en 2013, les chercheurs Carole Daverne et Yves Dutercq s'étaient penchés sur le parcours de plus d'un millier de ces «bons élèves» inscrits en terminale ou en classe préparatoire dans de «très bons lycées» de Paris, Nantes et Rouen. Quel est la recette de leur réussite? Ces derniers faisaient valoir le fort investissement de leurs parents dans leur scolarité et révélaient à quel point l'école était privilégiée et valorisée, la scolarité encouragée et accompagnée dans leur famille. L'investissement des parents de ces élèves prometteurs était particulièrement visible dans les classes de primaire et de collège. Il se traduisait «par une attention aux résultats et un suivi, parfois serré, du travail à la maison». Une thèse décryptant les succès scolaires des enfants d'enseignants révélait, toujours en 2013, que les vacances de ces derniers n'étaient jamais totalement oisives. Leurs parents avaient même tendance à les faire travailler avec «le désir de s'avancer pour l'année suivante»...Pour Valérie Marty, présidente de la PEEP, deuxième fédération de parents d'élèves, ce débat sur l'abolition des devoirs à l'école est «un mauvais débat. Les parents encouragent et motivent leurs enfants et cela fait réussir. Aidons les élèves à apprendre à apprendre!».

Source : Le Figaro

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/04/19/01016-20170419ARTFIG00058-les-devoirs-a-la-maison-pomme-de-discorde-entre-les-parents-et-l-education-nationale.php