Plusieurs groupes armés non étatiques et les forces armées congolaises ont commis de graves exactions contre des civils dans l’est de la RD Congo entre 2012 et 2014. Certains de ces groupes sont décrits ci-après. Ils sont énumérés par ordre alphabétique. Des dizaines d'autres groupes armés sont également actifs dans l'est du pays.
Alliance des forces démocratiques (ADF)
L'Alliance des forces démocratiques (ADF) est un groupe armé islamique dirigé par des leaders ougandais. Ce groupe est actif au Nord-Kivu, dans le territoire de Beni, depuis 1996. Les combattants de l'ADF, notamment des Ougandais et des Congolais, sont responsables de l'assassinat de civils et de nombreux enlèvements commis ces dernières années.
Des civils qui avaient été précédemment détenus dans des camps de l'ADF ont déclaré avoir vu des morts par crucifixion, des exécutions de ceux qui tentaient de s'échapper et des prisonniers dont la bouche avait été cousue pour avoir prétendument menti à leurs ravisseurs. Certains captifs accusés de s'être « mal comportés » ont été retenus prisonniers dans des trous ou des cercueils tapissés de clous pendant plusieurs jours, voire plus d’une semaine. Les agresseurs violaient également les femmes, les obligeant à être leurs « femmes ».
Alliance du peuple pour un Congo libre et souverain (APCLS)
L'Alliance du peuple pour un Congo libre et souverain (APCLS) est un groupe armé à dominante ethnique hunde dirigé par Janvier Buingo Karairi. Il opère essentiellement dans la zone située au nord de Nyabiondo, dans l'ouest du territoire de Masisi. Les dirigeants du groupe prétendent protéger la population hunde de ce qu'ils décrivent comme une « invasion tutsie » et l'occupation des territoires de l'ouest du Masisi. L'APCLS est responsable de graves abus commis dans les zones qu'elle contrôle et lors d'opérations menées contre les forces adverses, notamment viols, enlèvements, incendies de maisons, détentions illégales, actes de torture, mauvais traitement et recrutements forcés d'enfants. Ils ont parfois opéré côte à côte avec les groupes FDLR et Nyatura.
Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC)
Créées en 2003, les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) dont l'effectif est estimé à 120 000 combattants, ont de lourds antécédents en matière d'exactions. Dans une large mesure, cela reflète l'absence d'obligation de rendre des comptes et la pratique gouvernementale consistant à intégrer dans l'armée d'anciens combattants des groupes armés sans formation officielle, ou sans « vetting » (ou vérification) de leur éventuelle implication dans des violations des droits humains commises dans le passé. Dans le contexte des opérations menées contre les groupes armés dans l’est de la RD Congo entre 2012 et 2014, des soldats ont été responsables d'exécutions sommaires, de viols, d'arrestations arbitraires et de mauvais traitements infligés aux collaborateurs présumés des groupes armés.
Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR)
Les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) sont l'un des groupes armés ayant perpétré le plus d'exactions dans l'est de la RD Congo au cours des deux dernières décennies. Il se compose en grande majorité de Hutus rwandais dont certains ont participé au génocide du Rwanda en 1994. Nombre d'entre eux ont fui le Rwanda vers la fin du génocide en 1994 et sont depuis restés dans l’est de la RD Congo. Les combattants FDLR sont responsables de crimes de guerre généralisés perpétrés dans l'est du Congo, notamment des massacres ethniques, des viols généralisés et le recrutement forcé d'enfants. Le commandant militaire du groupe, Sylvestre Mudacumura, un Rwandais à la tête des forces militaires FDLR depuis 2003, fait l'objet d'un mandat d'arrêt délivré par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre commis dans l’est de la RD Congo.[1] Ces dernières années, le nombre des combattants FDLR a diminué de manière significative, passant, selon les estimations, de 6 000 en 2008 à environ 1 000-1 500 en 2015 en raison de la pression militaire et des efforts de démobilisation. Toutefois, les combattants FDLR continue d'attaquer les civils dans l'est de la RD Congo, souvent de concert avec les groupes armés hutus congolais, notamment les Nyatura (voir ci-après).
M23
Le groupe M23 était principalement dirigé par des officiers tutsis ayant pris part à une rébellion précédente, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), avant d'être incorporés à l'armée début 2009 et d'en faire défection début 2012. Le nom du groupe vient de l'accord signé le 23 mars 2009 avec le gouvernement congolais. Le M23 a compté sur le soutien considérable des autorités militaires rwandaises qui planifiaient et commandaient les opérations, formaient les nouvelles recrues et les approvisionnaient en armes, munitions et autre matériel. Des centaines de jeunes hommes et garçons ont été recrutés au Rwanda et contraints de traverser la frontière de la RD Congo pour y combattre dans les rangs du M23. Entre avril 2012 et novembre 2013, lorsque le groupe fut défait, des combattants M23 ont été responsables de crimes de guerre généralisés, notamment d'exécutions sommaires, de viols et de recrutement forcé d'enfants, y compris par la force.
Mai Mai Kifuafua
Mai Mai Kifuafua est un groupe de défense locale majoritairement d'ethnie Tembo qui opère dans le sud-est du territoire de Walikale, dans le sud-ouest du territoire de Masisi et dans le nord du territoire de Kalehe. L'un des principaux dirigeants du groupe est Delphin Mbaenda. En 2012, des combattants Mai Mai Kifuafua se sont ralliés à la milice Raia Mutomboki lors d'attaques perpétrées contre des civils hutus dans le sud des territoires de Masisi et de Walikale, massacrant délibérément plusieurs centaines de civils. À la suite d'un différend entre les dirigeants de Mai Mai Kifuafua et des Raia Mutomboki début 2013, les combattants Kifuafua ont mené une série d'attaques contre les Raia Mutomboki et des civils vivant dans des zones placées sous leur contrôle.
Mai Mai Simba
Mai Mai Simba est l'un des plus anciens groupes armés dans l’est de la RD Congo dont les origines remontent à 1963. Constitué principalement de l'ethnie Kumu, ce groupe armé comptait en 2014, selon les estimations, environ 75 combattants basés au Parc national de la Maiko dans le territoire de Walikale et dans certaines régions de la province de Maniema, où ses combattants pratiquent le braconnage des éléphants pour le trafic d'ivoire et l'extraction de l'or dans la rivière Osso. À la suite de différents litiges avec Mai Mai Sheka pour le contrôle de sites miniers en 2013, les combattants Mai Mai Simba ont perpétré de graves exactions contre des personnes travaillant dans des mines d’or artisanales et d’autres civils accusés de collaborer avec ou de soutenir Mai Mai Sheka.
Nduma Defense of Congo (Mai Mai Sheka)
Le groupe Nduma Defense of Congo (NDC), également connu sous le nom de Mai Mai Sheka, est responsable d'attaques extrêmement brutales à l'encontre de civils perpétrées sur les territoires de Walikale et du nord-ouest de Masisi au cours des années passées. Mené par Ntabo Ntaberi Sheka, ancien commerçant de minéraux, le groupe se compose principalement de combattant appartenant à l'ethnie Nyanga. Les combattants de Sheka ont tué des dizaines de civils. La majorité des victimes étaient des civils hutus et hundes massacrées à coups de machette. Les combattants Sheka ont profané les cadavres et défilé en ville avec des parties du corps des victimes massacrées en criant qu'ils allaient « exterminer » tous les Hutus et les Hundes. Les combattants de Sheka ont également violé et torturé des centaines de civils. Des jeunes filles âgées de 12 ans à peine ont été réduites à l'état d'esclaves sexuelles pour les combattants Sheka. De nombreux combattants de Sheka sont des enfants ou d'anciens enfants qui avaient été recrutés par la force.
Nyatura
À l'éclatement de la rébellion M23 et à la montée du phénomène Raia Mutomboki (voir ci-dessous) début 2012, les groupes armés congolais hutus se sont disséminés sur l'ensemble du territoire Masisi et certaines zones des territoires de Rutshuru, Walikale et Kalehe. De nouveaux groupes se sont formés tandis que d'autres se sont reformés. Bien que nombre de ces groupes aient leur propre nom individuel ou qu'ils portent le nom de leurs commandants, on les appelle souvent collectivement Nyatura, ce qui signifie « frapper fort » en kinyarwanda, la langue du Rwanda. Les combattants Nyatura, agissant souvent de concert avec le FDLR, ont été responsables d'exactions généralisées, notamment d'exécutions sommaires, de viols et de recrutement forcé d'enfants, y compris par la force.
Raia Mutomboki
Le groupe Raia Mutomboki (« le peuple indigné » en swahili) est un réseau informel d'anciens miliciens, de soldats de militaires démobilisés et de jeunes qui se sont armés principalement de machettes et de lances pour protéger les civils des FDLR, tout en gagnant aussi le contrôle de zones d'extraction minière et de réseaux de taxation illégaux. Raia Mutomboki a souvent évité les affrontements directs avec les FDLR. Il a plutôt centré ses attaques, dans un premier temps, contre les familles des combattants de FDLR, les femmes réfugiées hutus rwandaises et les enfants vivant dans l’est de la RD Congo, puis dans un deuxième temps, sur la population ethnique hutue congolaise. En 2012, les combattants Raia Mutomboki ont massacré des centaines de civils à coups de machette et réduit en cendres des dizaines de villages.
Pour de nombreux enfants dans l'est de la République démocratique du Congo désireux d'étudier, la présence d'hommes armés dans leur école est une image bien trop familière. Tandis que le pays est aux prises avec des combats entre les divers groupes armés et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), les violences commises par les troupes dans les écoles et alentour ont de graves conséquences pour la sécurité des étudiants, des enseignants et des administrateurs, compromettant en outre la capacité des élèves à apprendre.
Le présent rapport décrit la manière dont les écoles sont devenues la cible des attaques menées par les groupes armés engagés dans des conflits armés dans l’est de la RD Congo. Les parties belligérantes ont aussi enrôlé illégalement des enfants, y compris par la force, soit dans les écoles ou lorsqu'ils s'y rendaient, pour les utiliser soit au combat soit dans des rôles d'appui pour les combats. Ils ont enlevé d'innombrables jeunes filles à l'école pour les violer ou les réduire à l'état d'« esclaves sexuelles ». La peur de l'enlèvement et des violences sexuelles empêche beaucoup d'enfants d'aller à l'école. Les parents ne scolarisent parfois pas leurs enfants de peur que les groupes armés ne leur demandent le paiement de « taxes » officieuses imposées aux civils.
L'armée congolaise et les groupes armés non étatiques se sont également emparés des écoles à des fins militaires. Parfois, ils ne prennent que quelques classes ou la cour de récréation ; d'autres fois, les armées convertissent une école entière en base militaire, casernes, terrains d'entraînement ou dépôts d'armes et de munitions. Les troupes qui occupent les écoles exposent élèves et professeurs à des risques tels que le recrutement illégal, le travail forcé, ainsi que les violences sexuelles.
L'utilisation des écoles à des fins militaires détériore, endommage et détruit les infrastructures scolaires déjà insuffisantes et de piètre qualité. Les combattants qui occupent les écoles brûlent fréquemment les murs en bois, les bureaux, les tables et les livres qu'ils utilisent comme combustible pour la cuisine et le chauffage. Les toits de tôle et autres matériaux sont pillés et démantelés pour être vendus à des fins de gain personnel par les soldats.
L'utilisation des écoles à des fins de déploiements militaires peut entraîner davantage de dégâts causés aux bâtiments eux-mêmes du fait qu'ils deviennent une cible légitime pour l'ennemi. Même une fois les locaux évacués, l'école peut demeurer dangereuse pour les enfants si les troupes laissent derrière elles armes et munitions non utilisées.
Dans un pays déjà déficient en matière d'accès à une éducation de qualité, de tels dommages causés aux écoles en raison de leur utilisation à des fins militaires, constitue un obstacle aux perspectives d'éducation et à l'avenir des étudiants.
Selon le ministère de l'Éducation congolais, la province du Nord-Kivu, dans l’est de la RD Congo, avait le plus haut pourcentage d'enfants en âge d'aller à l'école non scolarisés de toutes les provinces du pays en 2012. Les probabilités pour un enfant vivant dans la province du Nord-Kivu de ne jamais aller à l'école sont plus importantes que pour un enfant né partout ailleurs dans le pays. Bien que la situation des enfants du Sud-Kivu soit légèrement meilleure, la peur de la criminalité et du conflit dans les deux parties de la province est une raison souvent invoquée pour expliquer le fait que les enfants abandonnent l'école ou qu'ils n'y sont jamais allés de leur vie.
En période de conflit et d'insécurité, le maintien à l'accès continu à l'éducation revêt une importance cruciale pour les enfants. À condition d'être des environnements sûrs et protecteurs, les écoles procurent un sentiment de normalité qui est essentiel au développement de l'enfant et à son bien-être psychologique. Les écoles sont également source d'informations importantes sur la sécurité et d'accès à certains services. Partout au Congo, les parents montrent en permanence l'importance qu'ils accordent au fait que leurs enfants reçoivent une éducation, rassemblant les moyens requis pour payer les frais et autres dépenses nécessaires à l'inscription de leurs enfants. Même lorsque les écoles sont endommagées ou détruites, les communautés trouvent souvent d'autres solutions par eux-mêmes, faisant l'école dans les églises ou des abris de fortune fabriqués à l'aide de bâtons et de bâches.
Du fait que de nombreuses écoles situées dans la partie est de la RD Congo sont construites grâce aux fonds collectés auprès des membres de la communauté locale plutôt qu'avec les fonds gouvernementaux, la perte d'une infrastructure scolaire représente une perte immédiate et concrète de l'investissement communautaire, ce qui a des répercussions sur l'avenir du fait de la perte continue de l'éducation des enfants.
Le gouvernement congolais devrait mener des enquêtes impartiales et engager des poursuites de manière appropriée à l'encontre des membres de l'armée et des commandants des groupes armés responsables du recrutement ou de l'enlèvement d'enfants et autres violations des droits humains et du droit international humanitaire, notamment les attaques illégales visant les écoles, les élèves et les enseignants.
Conformément à la résolution 2225 du Conseil de sécurité des Nations Unies, le gouvernement congolais devrait en outre prendre des mesures concrètes afin de dissuader l'utilisation des écoles à des fins militaires. Il devrait signer rapidement la « Déclaration sur la sécurité dans les écoles », déjà entérinée par 49 pays au mois d’octobre 2015 et dont l'objectif est de protéger l'éducation contre les attaques. De plus, il devrait revoir ses politiques, pratiques et formations militaires afin de garantir, à tout le moins, leur adéquation par rapport aux protections énoncées dans les « Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés » qui donnent des orientations aux parties à un conflit armé quant à la manière d'éviter d'empiéter sur la sécurité et l'éducation des élèves.
Source: Human Rights Watch