L’ostéopathie crânienne pour les bébés sert-elle à quelque chose?

mar, 03/26/2019 - 18:17 -- siteadmin

Elle promet d’atténuer les pleurs, d’améliorer les troubles du sommeil ou encore de remédier à certaines déformations de la tête... L’ostéopathie crânienne a le vent en poupe. Mais ses bénéfices ne sont pas prouvés.

L’ostéopathie crânienne pour les bébés fait de plus en plus parler d’elle. Récemment, un reportage diffusé sur France 5 lui a été consacré, montrant un ostéopathe qui prend en charge un bébé prématuré au Centre hospitalier de Grasse (Alpes-Maritimes). L’objectif? Rétablir les supposées perturbations des structures crâniennes générées par le «traumatisme» qu’est l’accouchement, comme l’indique sur son site l’association des ostéopathes de France. Mais cette pratique, qui n’est pas prise en charge par l’Assurance maladie, ne fait pas du tout l’unanimité tant du côté des professionnels de santé que des ostéopathes. L’ostéopathie crânienne répond-elle à une réelle nécessité, ou est-ce un phénomène de mode?

Quelles indications?

Parmi les ostéopathes, il n’y a pas de consensus clair sur les indications, les mécanismes et les bénéfices attendus de l’ostéopathie crânienne pour les nourrissons. D’un site internet à l’autre, elle permettrait tantôt d’atténuer les pleurs et l’anxiété, tantôt d’améliorer l’allaitement, la digestion et le sommeil, ou encore de remédier aux déformations du crâne de l’enfant (crâne plat) et aux asymétries faciales (œil plus petit, bouche déviée...).

«L’objectif va être par exemple de désengager un croisement d’un os crânien par rapport à un autre», prétend pour sa part Roselyne Lalauze-Pol, ostéopathe et présidente de la Société européenne de recherche en ostéopathie périnatale et pédiatrique (Seropp). «Cela arrive fréquemment après un accouchement et, dans 90% des cas, ça rentre dans l’ordre tout seul. Mais il arrive que ce ne soit pas le cas». Autre cas dans lequel l’ostéopathie crânienne est utilisée sur les bébés: remédier à une hypotonie. «Si à 7-8 mois, l’enfant ne tient pas sa tête, l’ostéopathie peut permettre de renforcer son tonus musculaire. Les mobilisations crâniennes vont induire le rétablissement d’une meilleure vascularisation au niveau du crâne», explique l’ostéopathe.

Quels dangers?

Le premier risque avancé par les détracteurs de l’ostéopathie crânienne sur le nourrisson est celui d’un éventuel retard de traitement. Un enfant de 7 mois qui ne tient pas sa tête, comme dans l’exemple cité plus haut, cela peut être le symptôme d’un problème de santé à prendre en charge sans tarder. «Si à 7 mois, un nourrisson ne tient pas sa tête, mieux vaut l’amener chez le pédiatre plutôt que chez un ostéopathe, qui risque de faire perdre un temps précieux», met en garde le Dr Jean-Yves Maigne, praticien hospitalier de médecine physique et manuelle.

Pour rappel, les ostéopathes - qui n’ont pas le statut de professionnels de santé - ont l’interdiction de manipuler les bébés de moins de 6 mois, sauf s’ils détiennent un certificat de non-contre-indication établi par un médecin. Seules les mobilisations douces (qui contrairement aux manipulations, ne font pas craquer les articulations) sont autorisées sans l’aval d’un médecin.

Pas de preuves scientifiques

Déjà, en 2011, le Pr Jean-Michel Pedespan, alors neuropédiatre au CHU de Bordeaux, avait émis des réserves dans une tribune publiée par Le Monde . «Il s’agit d’une technique ancienne, utilisée aux USA depuis la première moitié du XXe siècle, qui a montré ses limites comme ses dangers», écrivait-il alors. «Son efficacité supposée reposerait sur la mobilité des os de la boîte crânienne et les mouvements du cerveau. La neurophysiologie moderne n’a jamais enregistré le moindre mouvement cérébral. Il n’est pas concevable d’imaginer qu’un toucher, aussi délicat soit-il, soit susceptible de modifier le fonctionnement de la sécrétion de la glande pinéale qui régule les rythmes de veille et de sommeil.»

Plus récemment, les allégations en faveur de l’ostéopathie crânienne ont été formellement désavouées par le Conseil national de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes (CNOMK). Dans un avis publié en janvier 2016, il a en effet estimé que «l’ostéopathie crânienne n’est pas un soin conforme aux données scientifiques et sa pratique par un kinésithérapeute constitue une dérive thérapeutique». Cet avis s’appuie sur un rapport scientifique réalisé par le Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique et sciences (CorteX). «Nous avons analysé 14 études ayant une méthodologie correcte», explique Albin Guillaud, un kiné actuellement doctorant de santé publique à l’université de Grenoble et coauteur du rapport. «Il en est ressorti qu’il n’existe actuellement pas de preuve de l’efficacité de l’ostéopathie crânienne. Soit ça n’a pas été étudié, soit ça l’a été mais d’une très mauvaise façon.»

Alors que le code de déontologie médicale précise explicitement qu’un médecin a l’interdiction de proposer un procédé «illusoire ou insuffisamment éprouvé», comment justifier que l’ostéopathie crânienne fasse irruption dans des maternités, comme c’est le cas au centre hospitalier de Grasse? Contacté par Le Figaro, l’hôpital n’a pas souhaité s’exprimer. «Ce qu’il faut comprendre, c’est que pendant longtemps, l’ostéopathie a été diabolisée, nous n’avons pas eu accès au monde de la recherche médicale», fait valoir Roselyne Lalauze-Pol, qui concède qu’il n’y a pas encore d’étude «sérieuse» en France. «Ce qui fait avancer la médecine, c’est ce que l’on constate en pratique: on voit des bénéfices, puis on fait des études», affirme-t-elle. En janvier dernier, le Seropp a lancé une étude sur la prise en charge ostéopathique du nourrisson hypotonique avec l’aide de deux médecins, dont le Pr Yannick Aujard, ancien chef du service de néonatologie de l’hôpital Robert Debré (AP-HP), à Paris.

Des fondements fragiles

«C’est louable de vouloir faire des études mais il faut avant tout se questionner sur les fondements de cette pratique. Et force est de constater que rien ne se tient», constate Albin Guillaud. Le Dr Jean-Yves Maigne, praticien hospitalier de médecine physique et manuelle, va jusqu’à qualifier l’ostéopathie crânienne de pratique «fantaisiste». Le médecin n’est pourtant pas un fervent opposant à l’ostéopathie: «Il m’arrive fréquemment d’utiliser des techniques manuelles issues de l’ostéopathie, comme les manipulations vertébrales».

Mais selon lui, l’ostéopathie crânienne est à part. «Ses fondements vont à l’encontre de ce que l’on sait de l’anatomie, je ne vois pas comment cela pourrait fonctionner», s’étonne-t-il. «Le seul intérêt que l’on peut lui reconnaître, c’est que c’est sédatif, ça détend.»

«Les discours en faveur de ces pratiques touchent des jeunes parents qui veulent le meilleur pour leur bébé», constate Pascale Mathieu, présidente de l’Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes. «On leur fait croire qu’ils risquent de passer à côté de quelque chose, que leur enfant peut avoir des problèmes s’ils ne se rendent pas chez un ostéopathe». Selon le Dr Maigne, dans «l’écrasante majorité des cas, les troubles rentrent dans l’ordre naturellement». «Laissons les bébés grandir tranquillement, arrêtons de surmédicaliser des enfants en bonne santé avec des pratiques qui n’ont pas fait leurs preuves», s’insurge Pascale Mathieu.

 

Source : Le Figaro

http://sante.lefigaro.fr/article/l-osteopathie-cranienne-pour-les-bebes-sert-elle-a-quelque-chose/