«Exclu, oublié, incompris»… Coincé entre l'aîné et le benjamin, celui qu'on appelait jadis le «puîné» serait-il le mal-aimé du clan familial ? Décryptage et témoignages de celles et ceux qui sont «nés après».
Plus communément appelé «l'enfant du milieu» ou même «l’enfant sandwich», le cadet est «celui qui est né immédiatement après un frère ou une sœur aîné(e)». Longtemps, il a cherché sa place au sein de la fratrie, mais serait désormais appelé à disparaître. C’est du moins ce qu’affirme le journaliste Adam Sternberg, auteur de l’article «L’enfant du milieu va s’éteindre». Publiée sur le site américain The Cut, le 11 juillet, la tribune pointe la menace qui plane désormais sur le cadet de la famille.
Adam Sternberg s’appuie sur une étude du Centre national des statistiques de santé (NCHS). Selon elle, les États-Unis affichaient un taux de fécondité de 1,8 enfant par femme en 2017. Contre quatre enfants ou plus dans les années 1970, d’après une autre étude du Centre de recherche Pew, réalisée en 1976. Conclusion : les fratries supérieures à trois enfants risquent bel et bien de devenir une denrée rare aux États-Unis et en Europe occidentale. La place de celui qu'on appelait «puîné», quant à elle, serait vouée à disparaître.
Le "mouton noir" de la famille
Dans son livre The Sibling Effect (2012), aux éditions Riverhead Books, l’écrivain américain Jeffrey Kluger avance que l’enfant du milieu est bien plus sujet au manque d’estime de soi que ses frères et sœurs. Joseph Doyle, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), et son équipe ont également mené une étude sur des milliers de fratries à travers les États-Unis et le Danemark.
À l’issue de leur travail, les chercheurs sont unanimes : l’enfant du milieu serait bel et bien le «mouton noir» de la famille. Il aurait même 25 à 40% de chances de plus que ses frères et sœurs de sombrer dans la délinquance juvénile ou, pis encore, de finir en prison. Les auteurs de l’étude précisent que, s’ils dénotent une tendance générale, ces résultats ne s’appliquent évidemment pas à toutes les familles.
"Je faisais tout pour me distinguer"
Outre ces démonstrations scientifiques, les idées reçues abondent sur le statut du «puîné». Plus ambitieux, plus créatif, plus pacifique, mais également plus isolé, plus négligé… La «situation inconfortable» des enfants sandwichs les préparerait même «à devenir des adultes conciliants, qui ne craignent pas les compromis», expliquait la psychologue clinicienne et spécialiste de l’enfance Françoise Peille à Psychologies Magazine.
Albane, 20 ans et troisième enfant d’une fratrie de cinq, approuve : «Parfois, j’ai un peu le rôle de médiatrice au sein de la famille.» Fille cadette d’un clan de sept enfants, Léa, 26 ans, a quant à elle ressenti certaines différences dans sa propre fratrie : «Ma grande sœur a un an de plus que moi, explique-t-elle. Lorsque l’on était enfants, c’était un peu la préférée. Ma petite sœur, elle, faisait ce qu’elle voulait, on ne la grondait jamais. Pour me distinguer, je faisais tout pour plaire à mes parents. J’étais toujours première de la classe et je n’ai jamais fait de crise d’ado».
Le "mythe" de l'enfant sandwich
Selon Claire Dahan, psychologue clinicienne, le puîné peut développer le «sentiment qu’on l’aime moins» que ses frères et sœurs. Au point, parfois, d’en arriver à de sévères désaccords familiaux.
Les «enfants sandwichs» seraient-ils condamnés à devenir les mal-aimés de la famille ? En aucun cas, répond Florence Millot, psychologue pour enfants et adolescents. «C’est un mythe de croire qu’une place va tout conditionner, estime la psychologue. Tout dépend des fratries. Par exemple, si un garçon se trouve au milieu de deux filles, il sera souvent le plus chouchouté.»
Le mal-être de l’enfant serait, quant à lui, davantage influencé par son écart d’âge avec le reste de la fratrie. «Plus l’écart d’âge est important, moins "l’enfant sandwich" se sent négligé, poursuit Florence Millot. Si le cadet et le benjamin ont cinq ans de différence, l’enfant du milieu a eu le temps de se construire affectivement. À l’inverse, dans le cas de trois enfants nés de manière rapprochée, le cadet a encore des demandes et des besoins affectifs relatifs à l’autre. Une nouvelle naissance peut venir affecter ces besoins.»
Confiance en soi et regard des parents
Ce malaise n’est d’ailleurs pas propre au puîné : «Chaque enfant vous dira qu’il est le moins préféré d’entre tous, précise la psychologue. Le petit dernier ne se sent jamais plus chouchouté que les autres». Florence Millot et Claire Dahan s’accordent ainsi à dire qu’il n’y a «pas de constante en éducation» et que la compétition entre frères et sœurs dépend «du regard des parents» sur la fratrie.
«La confiance en soi de l’enfant est déterminée par trois facteurs : le secure attachment – les bons rapports affectifs entre parents et enfants -, l’environnement dans lequel il évolue, mais aussi sa nature profonde», explique Claire Dahan. La psychologue-clinicienne va même plus loin : les idées reçues sur l’enfant du milieu seraient dangereuses.
Des avantages
«Il ne faut pas que les parents se conditionnent avec des images, prévient-elle. Il faut faire attention, car elles créent des peurs infondées qui peuvent modifier le rapport à l’enfant.» D’autant que les enfants du milieu tirent également certains avantages de leur position. Ils auraient ainsi tendance à être plus indépendants et valorisés hors du cocon familial – «Il peut être un leader dans son sport de prédilection, par exemple», affirme Florence Millot.
Mais que faire si son enfant semble tout de même plus renfermé, plus à l’écart ? Claire Dahan conseille de «donner à son enfant du temps d’écoute, de qualité, sans téléphone par exemple». «Il faut aussi demander à l’enfant comment il se sent dans la fratrie, souligne Florence Millot. Ou lui dire "Je vois que ça ne va pas".» Toutes deux en arrivent à la même conclusion : «Si l’enfant se sent important, il grandira mieux quelle que soit sa position dans la fratrie.»
Source : Le Figaro