Jeanne Siaud-Facchin, psychologue clinicienne et psychothérapeute, est une des spécialistes de la compréhension et de l'accompagnement des enfants, adolescents et adultes surdoués. Elle était récemment dans le sud-Finistère pour y animer une conférence sur le sujet de la précocité. Entretien.
Dans l'esprit de beaucoup, un enfant intellectuellement précoce est synonyme de réussite scolaire. Est-ce le cas ?
Il y a énormément de représentations autour de ces enfants que l'on imagine comme des petits génies et des premiers de la classe, un peu comme Agnan dans "Le Petit Nicolas". Quand on a ces grandes intelligences, c'est un atout important pour plein de choses dans la vie. Mais elles s'imbriquent toujours avec d'autres composantes de personnalité, en particulier l'hypersensibilité. Ce n'est pas de la sensiblerie. C'est avoir les cinq sens très exacerbés et capter en permanence les stimuli présents dans l'environnement.
Comment cela se manifeste-t-il ?
Un surdoué, il voit ce que les autres ne voient pas, il entend ce que les autres n'entendent pas et il a même une sensibilité corporelle plus développée. C'est cette alchimie constante entre intensité de la sensibilité et de la puissance intellectuelle qui fait que ces enfants peuvent se trouver en décalage par rapport à leurs pairs et en situation de difficulté scolaire car ils s'attendent à l'école à être nourris. Ce sont des enfants qui ont envie de savoir et pas forcément d'apprendre, de poser des questions et l'enseignant peut avoir l'impression qu'il est insolent. Il va s'entendre dire trop souvent, « ça n'est pas au programme, tu verras ça l'année prochaine » alors que la curiosité est un des moteurs essentiels chez les précoces. Et comme en plus ils ont un sens des valeurs non négociables - dont la justice...
Ces enfants peuvent-ils être en souffrance ?
Souvent, les garçons manifestent leur inconfort de façon bruyante et les filles se suradaptent et vont mettre en place des stratégies d'inhibition, qu'on retrouve à l'adolescence quand elles ne vont pas bien avec des souffrances inextricables. On a tous besoin dans la vie d'être reconnus pour ce que l'on est. Ces enfants sont trop souvent soit méconnus par le corps enseignant, soit mal compris, soit stigmatisés. Il ne s'agit pas de mettre en place une pédagogie adaptée mais une pédagogie de la bienveillance.
Et ce qui est incontournable pour ces enfants-là est valable pour tout le monde. C'est exactement le même principe que Maria Montessori qui a monté ses classes pour les handicapés sensoriels et qui s'est rendu compte que ses méthodes étaient intéressantes pour tous les enfants. Il faut que les profs comprennent que si ces enfants précoces posent des questions, ce n'est pas pour emmerder tout le monde, qu'ils ont besoin de complexité, sinon ils décrochent. Ce qui guette ces enfants-là, c'est l'ennui. Ce n'est pas à prendre à la légère, cela peut être une vraie souffrance.
Selon vous, est-il nécessaire de faire détecter assez tôt ces enfants ?
Je préconise, quand un enfant dysfonctionne à l'école, plutôt que de l'engueuler, de savoir pourquoi. Tout le monde a envie de réussir et les enfants aussi. Il est alors nécessaire de faire un bilan complet pour savoir par où on va passer pour l'aider à ce moment-là de son histoire.
Face à la précocité d'un enfant, les parents se sentent parfois démunis. Comment faire ?
Je pense que les parents sont les meilleurs experts de leurs enfants, contrairement à beaucoup de discours psy. Ces enfants ont besoin de se savoir compris et soutenus par leurs parents. Avec des enfants un peu atypiques, ce sont toujours les parents qui sont en première ligne. S'ils sont capables d'accepter pleinement leur enfant comme il est, ce sera beaucoup plus facile pour l'enfant de s'accepter lui-même et de lui permettre d'être accepté par les autres. Il faut aussi que les parents fassent confiance à leur enfant pour chercher ensemble des solutions et n'hésitent pas à demander de l'aide aux enseignants. C'est une question de bonne intelligence de tout le monde.
Propos recueillis par Delphine Tanguy
Source : Le Telegramme