Les décès et les infections dus à la rougeole en 2019 devraient « dépasser sensiblement » les chiffres de l’année dernière, avec plus de 142.000 personnes décédées de cette maladie évitable, a déclaré jeudi l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
En cause, des niveaux de vaccination dangereusement bas et des grandes épidémies dans plusieurs pays - encouragés par « la diffusion de fausses informations » sur les réseaux sociaux - a insisté l’agence onusienne. Une couverture inférieure à 95% risquerait de provoquer une épidémie.
Aux Samoa, archipel de 200.000 habitants du Pacifique Sud, seulement 31% de la population est immunisée contre la rougeole, a déclaré l’OMS, soulignant l’impact des messages d’un seul groupe antivaccin sur les médias sociaux. La situation a entraîné une crise sanitaire majeure. Les hôpitaux et les cliniques sont apparemment débordés et luttent pour soigner les plus vulnérables - les enfants de moins de cinq ans - et d’autres patients souffrant de maladies chroniques, dont le diabète.
« La désinformation diffusée par les médias sociaux influe réellement sur la décision des parents de vacciner ou non leurs enfants et a pour effet que des enfants développent la rougeole et que certains d’entre eux meurent », a déclaré Dr Kate O’Brien, Directrice de la vaccination, des vaccins et des produits biologiques à l’OMS. « Nous savons tous qu’il existe depuis 50 ans un vaccin sûr, efficace, abordable et largement disponible pour prévenir la rougeole ».
Selon l’experte de l’OMS, des centaines de millions de personnes ont reçu le vaccin et c’est donc un échec collectif qu’il y ait une augmentation du nombre de cas et de décès, et la raison sous-jacente étant que les gens ne sont pas vaccinés.
« Mauvaise trajectoire » dans la lutte contre la rougeole
Aujourd’hui, la couverture vaccinale mondiale moyenne contre la rougeole est d’environ 86% - contre 72% en 2000. L’OMS estime avoir sauvé plus de 23 millions de vies pendant cette période grâce à la vaccination antirougeoleuse.
Néanmoins, le nombre de cas déclaré au niveau mondial a augmenté de plus de 30% par rapport à 2016. Le nombre de décès dus à la rougeole est passé de 535.000 à 142.300 depuis le début du siècle dernier. Le recul a conduit à une augmentation des infections. « Nous sommes sur une trajectoire qui va dans la mauvaise direction », explique Dr O’Brien. « Ce n’est pas seulement une situation vécue en 2018. En fait, nous constatons une augmentation du nombre de cas signalés à ce jour en 2019, qui dépasserait de beaucoup le nombre de cas signalés en 2018 », a-t-elle dit.
Selon les dernières données de l’OMS, les cas suspects et confirmés de rougeole en 2019 (614.915 cas suspects et 413.308 cas confirmés) étaient tous deux plus élevés qu’en 2018 (483.215 et 333.445, respectivement).
« Nous devons vraiment cesser d’éteindre les incendies, de réagir en permanence aux épidémies et de renforcer les programmes de vaccination essentiels pour que nous ne soyons pas confrontés à ces situations pays par pays, mois après mois, année après année », a mis en garde Kate O’Brien.
Ukraine, Libéria, Madagascar, Somalie et RDC ont plus de la moitié des cas
C’est dans les Régions OMS des Amériques, de la Méditerranée orientale (2.852.700 cas et 49.000 décès) et de l’Europe (861.800 cas et 200 décès) que les hausses du nombre de cas ont été les plus fortes.
L'agence onusienne s’inquiète aussi de la situation en Asie du Sud-Est, avec 3.803.800 cas et 39.100 décès ; et dans le Pacifique occidental, 408.400 cas et 1.300 décès et dans les Amériques, 83.500 cas.
De façon générale, si le nombre de décès dus à la rougeole dans le monde a diminué depuis l’an 2000, les conséquences les plus graves - et le nombre le plus élevé de décès - se produisent dans les pays « où de nombreux enfants n’ont toujours pas été vaccinés », en particulier dans les États d’Afrique subsaharienne. Par région, l’OMS estime que la région africaine a enregistré 1.759.000 cas au total et 52.600 décès l’an dernier.
En 2018 par exemple, hormis l’Ukraine, tous les autres pays où le nombre d’infections se trouvent en Afrique subsaharienne : le Libéria, Madagascar, la Somalie et la République démocratique du Congo (RDC). Ensemble, ces quatre pays africains et l'Ukraine représentaient près de la moitié des cas de rougeole dans le monde.
Mais la situation est plus préoccupante en RDC qui lutte contre l’insécurité liée aux groupes armés et contre une épidémie de virus Ebola qui a fait plus de 2.000 morts. Dans ce contexte, l’épidémie de rougeole en cours est considérée comme l’épidémie « la plus importante et la plus grave au monde », touchant l’ensemble de ses 26 provinces.
Depuis le début de l’année, plus de 250.000 cas suspects et plus de 5.000 décès, principalement parmi les enfants de moins de cinq ans, ont été enregistrés. Les faibles taux de vaccination et les niveaux élevés de malnutrition ont contribué à l’expansion de l’épidémie de rougeole et aux taux de mortalité élevés qui en découlent.
Campagne de vaccination contre la rougeole en RDC
Face à l'épidémie en RDC, l'OMS a indiqué qu'environ 2,2 millions d’enfants de 6 mois à 59 mois vont être vaccinés contre la rougeole dans le Nord-Kivu.
« Alors que l’épidémie d’Ebola en RDC a attiré l’attention du monde et que des progrès ont été réalisés pour sauver des vies, nous ne devons pas oublier les autres besoins urgents du pays en matière de santé, » a déclaré dans un communiqué, Dr Matshidiso Moeti, Directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique. « Cette nouvelle campagne de vaccination vise à protéger les enfants du Nord-Kivu, ainsi que d’autres régions du pays, d’une maladie facilement évitable grâce à un vaccin. »
Pourtant au Nord-Kivu, la vaccination contre la rougeole se déroule dans un contexte volatile, caractérisé par une grande insécurité, en particulier autour de la ville de Beni et du territoire de Masisi. « Dans le contexte du Nord-Kivu, où la population est très mobile, il est impératif de tendre la main aux voyageurs et de veiller à ce que leurs enfants soient également couverts », a indiqué Dr Deo Nshimirimana, Représentant par intérim de l’OMS en RDC.
La campagne de cinq jours clôt la deuxième phase de la vaccination préventive de masse et sera suivie d’une troisième et dernière phase dans les dix provinces restantes : Bas Uélé, Équateur, Haut Katanga, Haut Lomami, Haut Uélé, Kasaï Oriental, Lualaba, Maniema, Mongala et Tshuapa. Elle atteindra finalement 18,9 millions d’enfants à travers le pays d’ici la fin de l’année, en particulier ceux qui ont peut-être été oubliés par la vaccination systématique.
Outre cette campagne entièrement financée par GAVI, l’Alliance pour la vaccination, la surveillance et la gestion des cas de rougeole contribuera à mettre fin à la flambée actuelle et à éliminer la rougeole en tant que menace pour la santé publique en RDC. « Malheureusement, la rougeole a fait plus de victimes congolaises cette année que le virus Ebola. Nous devons faire mieux pour protéger les plus vulnérables, qui sont souvent aussi les plus difficiles à atteindre. Cette campagne est un pas important dans cette direction », a souligné Thabani Maphosa, Directeur général des programmes de pays pour Gavi.
Toutefois, le manque de financement entrave les efforts de campagnes réactives. À ce jour, 27 millions de dollars ont été mobilisés. Une somme additionnelle estimée à près de 5 millions de dollars est nécessaire pour mener à bien la campagne de vaccination et les activités de réponse telles que la surveillance de la maladie, la gestion des cas et la communication.
Certains pays riches luttent désormais contre la rougeole
Mais le combat contre la rougeole n’est plus qu’un problème des pays en développement, d’autant que parmi les pays les plus riches, certains luttent également contre les épidémies, a ajouté l’OMS.
Il s’agit notamment des États-Unis - qui ont déclaré le plus grand nombre de cas en 25 ans - et de quatre pays européens - l’Albanie, la République tchèque, la Grèce et le Royaume-Uni - qui ont perdu leur « statut d’élimination de la rougeole » en 2018 après des flambées prolongées. Cela se produit si la rougeole revient dans un pays après avoir été déclarée éliminée, et si la transmission se poursuit sans interruption dans le pays pendant plus d’un an.
« En Europe, il y a eu un relâchement de la vigilance à l’égard de la maladie et la diffusion de fausses informations sur le vaccin », avait alerté le 29 novembre dernier, Dr Seth Berkley, Directeur exécutif de GAVI. Il a donc plaidé pour un changement des stratégies actuelles en consacrant plus d’efforts à l’augmentation de la couverture vaccinale. « Faute de quoi, les flambées épidémiques continueront de se succéder », a-t-il prévenu.
Le virus de la rougeole se propage lorsque les malades toussent ou éternuent, ou par le contact direct avec des sécrétions nasales ou laryngées.
Selon l’OMS, il est plus susceptible d’avoir un impact sur les jeunes mal nourris, en particulier ceux dont le système immunitaire est affaibli par le VIH/sida ou d’autres maladies, ou qui manquent de vitamine A.
La rougeole est une maladie grave et très contagieuse. Elle peut causer des complications débilitantes voire fatales, y compris l’encéphalite (une infection entraînant un œdème cérébral), la diarrhée et la déshydratation sévères, la pneumonie, des infections de l’oreille et une perte de vision permanente. Le risque de décès et de complications est particulièrement élevé chez les nourrissons et chez les jeunes enfants qui souffrent de malnutrition ou dont le système immunitaire est affaibli.
Mais la rougeole peut être prévenue par deux doses d’un vaccin sûr et efficace. « La meilleure façon pour les pays de se protéger est d’avoir un solide programme de vaccination », a conseillé Dr O’Brien. Notant que certains pays n’ont pas mis en place une politique de deuxième dose, la responsable de l’OMS a exhorté tous les ministères de la santé à incorporer cette mesure dans leurs programmes nationaux de vaccination comme une norme mondiale.
Cette mesure contribuerait grandement à améliorer la résistance de la communauté à la rougeole, qui est largement considérée comme un « test décisif » pour le système de santé de tout pays, a affirmé le Dr O’Brien.
Source: ONU
https://news.un.org/fr/story/2019/12/1057611