Une étude réalisée en Inde montre que des probiotiques donnés après la naissance réduisent spectaculairement le risque de septicémie.
Et s’il suffisait de donner, dans les sept jours suivant la naissance, un cocktail, dit symbiotique, à base d’un probiotique (bactérie bénéfique) et de son nutriment, soigneusement sélectionné, pour réduire de 40 % le risque de septicémie (infection généralisée) et de décès? Cela chez des nouveau-nés de pays en voie de développement et le tout pour seulement un dollar par jour!
C’est en tout cas le résultat impressionnant obtenu en Inde par l’équipe du Pr Pinaki Panigrahi, de l’Institut de recherche sur la santé de l’enfant (Université du Nebraska, États-Unis) avec d’autres centres américains et indiens.
L’étude a été publiée sur le site de la prestigieuse revue Nature la semaine dernière et l’approche qui y est décrite pourrait sauver la vie de centaines de milliers d’enfants chaque année.
«Les septicémies, principalement dues aux infections bactériennes des enfants (y compris les nouveau-nés), sont responsables de plus de 500.000 décès par an dans les pays en développement», explique au Figaro le Dr Rahul Kashyap, dont les travaux de recherche à la Mayo Clinic (Rochester, États-Unis) portent notamment sur le choc septique (stade gravissime de la septicémie). «Le diagnostic précoce d’une septicémie est la clef du traitement pour éviter qu’elle n’évolue vers un choc septique», ajoute-t-il.
Dans les campagnes de l’Inde et d’ailleurs, les bébés meurent la plupart du temps sans atteindre l’hôpital. «Dans les pays à faibles ou moyens revenus, le nettoyage antiseptique du moignon de cordon ombilical et l’alitement exclusif sont les approches les plus utiles», remarque le Dr Kashyap. Peut-être faudra-t-il bientôt y ajouter l’administration du symbiotique imaginé par le Pr Panigrahi et ses collègues ?
Dans l’étude, qu’ils ont commencée en 2008 (prévue à l’origine pour inclure 8.000 enfants), les chercheurs américains ont comparé l’administration quotidienne, durant la première semaine de vie, d’un symbiotique à base de Lactobacillus plantarum à un groupe de nouveau-nés de plusieurs zones rurales de l’Inde. Les enfants devaient peser au moins 2 kg, ne pas être prématurés ou présenter des signes d’infection à la naissance pour participer à l’étude.
L’objectif était d’orienter favorablement, dès la naissance, la composition bactérienne présente dans le microbiote (flore intestinale) en constitution des bébés. «Les premiers 18 mois suivant la naissance en particulier sont souvent identifiés comme cruciaux pour le développement d’un microbiote sain et robuste plus tard dans la vie», expliquent Gregory Young et Clare Lanyon, spécialistes du microbiote néonatal à l’université de Northumbria (Newcastle, Royaume-Uni).
Le choix de la souche est crucial. Le Lactobacillus plantarum utilisé a été isolé à partir de la flore intestinale (microbiote) d’un enfant, sain, du Maryland (États-Unis), âgé de 11 mois. Voilà des années que le Pr Panigrahi et son équipe testent des souches d’origine variée, y compris celles qui sont les plus fréquemment proposées en Inde. Aucune ne parvenait à s’imposer et à coloniser le tube digestif des nouveau-nés chez qui elles étaient testées.
«Lactobacillus est une espèce que l’on peut facilement cultiver en quantité et produire à moindre coût, mais encore fallait-il trouver une bonne souche au sein de l’espèce, ce qu’ont fait les auteurs après un long et fastidieux processus de sélection», explique François Leulier, directeur de recherche (CNRS), qui travaille notamment avec son équipe de l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon sur la même espèce bactérienne que celle utilisée en Inde.
L’étude a été interrompue après le recrutement de 4.557 enfants à la vue des résultats intermédiaires spectaculaires. La réduction des décès et septicémies atteignait 40 % (fourchette statistique entre 26 % et 52 %) puisque ce risque était de 5,4 % dans le groupe avec symbiotique et de 9 % dans celui recevant un placebo, avec un recul de 60 jours.
«C’est une étude qui pourrait tout changer, explique François Leulier, c’est la première fois qu’une étude clinique extrêmement ambitieuse par le nombre de personnes suivies montre des effets aussi spectaculaires et il s’agit de prévention», souligne-t-il. Le chercheur, qui a déjà montré l’intérêt potentiel de Lactobacillus plantarum sur la croissance osseuse des souris, aurait aimé que l’étude de Panigrahi et ses collègues inclue des mesures de croissance osseuse. C’est que l’enjeu est de taille: 160 millions d’enfants présentent des retards de croissance chaque année dans le monde.
Cette étude importante est aussi le résultat favorable attendu après des années décevantes par les nombreuses équipes de recherche sur les probiotiques. Les résultats encourageants ne manquaient pas, mais étaient obtenus souvent sur des petits effectifs et certains étaient carrément négatifs. Auteur d’une récente revue sur le microbiote néonatal, le Pr Vineet Bhandari de l’hôpital pour enfant St Christopher à Philadelphie est impressionné par l’étude de Nature mais soulève tout de même quelques interrogations et regrette notamment que «l’étude soit focalisée sur des nouveau-nés en bonne santé, essentiellement à terme (non prématurés, NDLR)».
Enfin, rien n’est plus différent d’un probiotique qu’un autre probiotique. «Il y a énormément de souches dans une même famille bactérienne, souligne François Leulier, et chaque souche peut avoir des effets spécifiques.» Aucune chance donc que les yaourts vendus en Inde ou ailleurs puissent remplacer avec succès le symbiotique utilisé dans cette étude précise. Le Pr Panigrahi est optimiste: «La prochaine étape est d’étudier le symbiotique dans différentes populations de différents pays, et de pouvoir un jour le donner à tous les bébés comme un vaccin oral.»
Source : Le Figaro