L’agence de sécurité du médicament s’alarme de l’usage, auprès d’enfants épileptiques, de produits à base de cannabidiol achetés sur internet. Elle rappelle qu’un médicament est désormais disponible en France.
Quelques minutes sur Internet suffisent à acheter du cannabidiol (CBD), une substance active du cannabis utilisée à des fins thérapeutiques. Sous forme d’huiles, de capsules et de cosmétiques, les produits sont parés de supposées vertus thérapeutiques allant des propriétés tranquillisantes ou antibactériennes à la lutte contre les crises d’épilepsie ou la croissance des cellules cancéreuses. Avec en bas de page, un maigre avertissement: «Consultez votre médecin avant (…) toute utilisation d’un nouveau produit». Sur les forums, les adresses s’échangent, notamment entre parents d’enfants épileptiques desespérant de réussir à soigner leur petit, ou en quête de traitements qu’ils espèrent «naturels».
Mais cette utilisation «sauvage», a fortiori chez des enfants, d’un produit tout sauf anodin inquiète l’Agence française du médicament (Ansm), qui a alerté dans un communiqué publié mardi «sur les dangers liés à l’utilisation de produits contenant du cannabidiol vendus notamment sur Internet» contre l’épilepsie infantile. L’utilisation de CBD achetée hors du circuit légal est en hausse, estime l’Ansm, avertie par des médecins.
Des produits à utiliser sous contrôle étroit
Il faut dire que le cannabidiol représente un espoir dans des pathologies graves. L’Epidiolex (groupe GW Pharmaceuticals, qui commercialise également le Sativex), un médicament contenant du cannabidiol, a ainsi fait la preuve de son efficacité contre deux épilepsies infantiles sévères et volontiers résistantes aux médicaments, les syndromes de Dravet et de Lennox-Gastaut. L’Epidiolex est disponible sur prescription en France depuis décembre 2018 pour les plus de 2 ans dans le cadre d’une ATU (autorisation temporaire d’utilisation nominative). Une revue de littérature, publiée début janvier dans les Annales de Pharmacothérapie par une équipe de l’Université du Colorado, montre bien une diminution de la fréquence des crises par rapport au placebo.
Mais ce produit doit être utilisé sous le contrôle étroit d’équipes médicales spécialisées. Faute de quoi, que le CBD soit pris en plus ou à la place des traitements antiépileptiques, «il y a un risque de conséquences graves», a expliqué à l’AFP Nathalie Richard, directrice adjointe des médicaments en neurologie à l’Agence du médicament. Outre les dangers liés à un dosage aléatoire et une production non contrôlée puisque hors des circuits légaux, «le CBD peut augmenter les concentrations de médicaments dans le corps». Les études menées avec l’Epidiolex ont en effet montré des interactions avec le clobazam (benzodiazépine) et le valproate (antiépileptique), pouvant nécessiter la diminution de ces médicaments. Le CBD peut aussi être toxique pour le foie, en tant que modulateur de deux enzymes hépatiques (CYP2C19 et CYP3A4) intervenant dans le métabolisme des médicaments.
Une efficacité pouvée par des essais cliniques
Les résultats intermédiaires d’un essai à long terme sur le syndrome de Dravet (États-Unis, France, Pologne et Grande-Bretagne, financé par le laboratoire qui commercialise l’Epidiolex) ont été publiés fin décembre dans la revue Epilepsia. Mené auprès de 264 patients pour une durée maximum de 512 jours (moyenne 274 jours), il montre une diminution de la fréquence des crises de 39 à 51% (38 à 44% pour les seules crises convulsives), et «après 48 semaines de traitement, 85% des patients/soignants ont signalé une amélioration de l’état général du patient», précisent les auteurs. 93% des patients ont rapporté des effets secondaires, pour l’essentiel légers ou modérés; mais plus de 17% de ceux également traités par acide valproïque avaient vu leurs transaminases, des marqueurs de la souffrance hépatique, s’élever jusqu’à 3 fois au-dessus des limites normales.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux utilisateurs ou défenseurs du cannabis thérapeutique ont réagi à l’alerte de l’Ansm en arguant que l’ouverture d’un marché réglementé permettrait de limiter les risques de ces médications sauvages, et faciliterait l’information des patients. Fin décembre, l’Ansm avait approuvé les conclusions du comité d’experts indépendants favorables à l’autorisation du cannabis thérapeutique dans certaines indications, et s’était prononcée pour la mise en place d’une expérimentation avant la fin 2019.
Les produits sans THC font polémique
Des boutiques vendant des produits dépourvus de THC, la substance psychoactive du cannabis, ont également fleuri en France ces derniers mois, au grand dam des autorités qui ont fait fermer plusieurs d’entre elles; accusé de trafic de stupéfiants, le gérant d’un magasin du Havre vient d’être relaxé et a indiqué vouloir rouvrir d’ici février, mais le parquet a indiqué vouloir faire appel, selon la radio locale Tendance Ouest.
Actuellement, trois médicaments à base de cannabinoïdes (CBD et/ou THC) sont autorisés en France: le Marinol pour les douleurs neuropathiques réfractaires; le Sativex, destiné aux patients souffrant de sclérose en plaques, en attente de fixation de son prix; et l’Epidiolex. Une trentaine de pays dans le monde autorisent le cannabis thérapeutique: plusieurs États américains, le Canada, 21 pays de l’Union européenne ainsi que la Suisse, la Norvège, Israël et la Turquie.
Source : Le Figaro