«On ne fait pas la différence entre un cancre et un dyslexique»

mar, 10/10/2017 - 22:52 -- siteadmin

Les enfants dyslexiques souffrent d'une réputation de cancre du fait d'un manque de visibilité. La journée des Dys, ce 10 octobre tend à rectifier le tir. Valentin Mathé, fondateur de La Poule qui pond, maison d'édition spécialisée pour aider les jeunes « dys », explique pourquoi ce handicap n'a rien de banal.

Ils sont autour de «10 à 15% diagnostiqués» dyslexiques en France et environ «20% à présenter ces symptômes», explique Valentin Mathé, fondateur de la maison d'édition La Poule qui pond. Lui-même dyslexique, l'éditeur se souvient avoir été incompris enfant alors qu'il tentait par le biais de la lecture et de l'écriture d'être comme ses camarades. Alors que la journée nationale des «dys» s'ouvre aujourd'hui, il rappelle pourquoi il est important de parler de ce handicap qui peut être allégé par une littérature adaptée.

LE FIGARO - La dyslexie est-elle devenue une maladie banale?

Valentin Mathé - C'est vrai. À en croire certains, tout le monde est un peu dyslexique. Mais ce genre de phrase est grave. Non seulement elle dédramatise la dyslexie, mais elle sous-entend que parmi les enfants dyslexiques certains ne le sont pas vraiment. En réalité, le plus gênant dans la dyslexie, ce n'est pas le fait d'avoir du mal à écrire ou à lire, c'est la vision qu'on en a. Le fait de pointer du doigt les enfants qui le sont. Comme si c'était leur faute.

On aime bien valoriser ce qui va mal en France et on pousse ainsi les dyslexiques à intérioriser des phrases comme: «Tu es le plus mauvais de la classe», «tu ne sais pas écrire», «ça ne sert à rien avec toi», «ça ne sert à rien que je t'apprenne, tu auras tout oublié dans trente secondes.» On fait de l'auto-persuasion et finalement on leur vole leur ambition.

Pourquoi une Journée pour les «dys» est-elle importante?

Elle est importante car elle permet de parler de la dyslexie et de montrer aux enfants comme aux parents qu'ils ne sont pas seuls face au handicap. Il y a encore aujourd'hui trop d'a priori concernant le «dyslexique». On imagine que c'est le cancre, celui qui travaille mal à l'école. Quand j'ai lancé ma maison d'édition La Poule qui pond, j'ai même reçu des mails de professeurs qui me disaient que la dyslexie n'existait pas. On était en 2016.

L'école agit-elle comme un pare-feu?

Il y a sûrement des enseignants qui font des choses formidables mais je pense qu'il y a un vrai déficit de formation chez les enseignants et un déficit d'informations chez les parents. C'est un parcours du combattant de faire reconnaître le handicap. Car, le problème de la dyslexie c'est qu'elle n'est pas visible. Il faut être fort pour faire la différence. Et, dans la tête des enseignants, parfois il arrive qu'on ne fasse pas la différence entre un cancre et un dyslexique.

On verra seulement un élève qui ne va pas vouloir apprendre ou qui ne va pas y arriver. Moi, à l'époque en CM2 je me suis fait tirer les cheveux un certain nombre de fois et mettre au tableau alors que mon professeur pensait que je faisais exprès de me moquer de lui. C'était une mise au pilori énorme!

Comment peut-on la prévenir pour éviter ce malentendu?

Il n'y a pas de test sur la dyslexie. On la diagnostique par défaut après avoir écarté un problème avec l'ophtalmologue ou l'orthophoniste. Normalement, cela arrive au CE2, du fait d'un retard de deux ans sur l'apprentissage de la lecture. Si nous n'avons pas encore de moyens pour la prévenir, cela n'empêche pas de mettre en place des outils. Aujourd'hui, il existe notamment des auxiliaires de vie scolaire pour aider les enfants à l'école.

Vous êtes vous-même dyslexique. Comment avez-vous fait pour en venir à bout?

On ne peut pas soigner la dyslexie mais on peut la contourner, avec des méthodes d'apprentissage à la lecture différentes. Il faut tout essayer. On peut apprendre le son des lettres, le son qu'elles font ensemble et quelques syllabes, sans avoir à apprendre tous les mots du dictionnaire! J'ai pour ma part développé des stratégies de contournement. Par exemple, quand je ne savais pas écrire un mot (appartement), j'en employais un autre (maison). Je me suis aperçu que je n'étais pas obligé de dire les mots que j'avais en tête. J'essaye donc de penser avec peu de vocabulaire. Qui dit peu de vocabulaire dit moins de mots à apprendre.

Encore absente des rayons il y a quelques années, la littérature pour enfants dyslexiques s'impose désormais en librairie. Pourquoi n'a-t-on à faire qu'à un phénomène de niche? Balbutiant qui plus est?

La poule qui pond, édite des livres entièrement syllabés. Cela signifie que l'on met des couleurs différentes à chaque syllabe. On insiste sur une aération des mots pour bien les décrypter dans les phrases avec des doubles interlignes. Comme on fait nos romans à la main et que l'on choisit de les faire valider par les orthophonistes, nos livres mettent trois mois de plus à être fabriqués que des livres lambdas. Les grosses maisons ne font donc pas ça, car financièrement ce n'est pas viable pour elles. Nous, nous avons une action militante, nous avons choisi la qualité. Nous sommes à la pointe des dernières méthodes pour les dyslexiques.

On veut que les enfants prennent plaisir à lire. Nous ne parlons donc pas de dyslexie ou de handicap dans nos romans. Nos textes se concentrent sur la forme, ils pourraient très bien sortir dans le marché classique. On donne des indicateurs en jouant sur les couleurs et en ajoutant des liaisons. Tout est fait pour que l'enfant s'y retrouve. On ne fait pas d'adaptation de livres qui existent déjà, vendus sur le marché, dans l'idée de trouver des romans pour «enfants normaux» et pour dyslexiques. Il ne faut pas, à mon sens, écrire spécifiquement pour eux. Un enfant dyslexique peut tout lire.

Source : Le Figaro

http://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2017/10/10/37002-20171010ARTFIG00008-on-ne-fait-pas-la-difference-entre-un-cancre-et-un-dyslexique.php