Son histoire défraie la chronique depuis quelques jours : Rita Chebli, emprisonnée une semaine durant pour avoir refusé de donner ses deux enfants à sa belle-famille après le décès de son mari, a recouvré mardi la liberté. Hier, c'est en son nom, mais aussi « au nom de toute femme victime de violence domestique, d'injustice et privée de ses enfants », qu'elle a réclamé que la garde et la tutelle de ses enfants, aujourd'hui âgés de 9 ans et 4 ans, lui soient attribuées.
Tout a commencé le 22 septembre 2013, date à laquelle son mari a été tué par une balle perdue lors d'un mariage à Baalbeck. Il avait 27 ans. « Je suis grecque-catholique et mon mari, Wassim Chéhadé, était chiite », raconte-t-elle au cours d'une conférence de presse tenue dans les locaux de l'ONG Kafa, à Badaro. « Mon mari s'est converti au christianisme et nous avons fait un mariage à l'église, poursuit-elle. Nos deux enfants, un garçon et une fille, ont été baptisés. »
Lorsque, quelques mois après le décès de Wassim, Rita a voulu procurer des certificats d'état civil à ses enfants, elle découvre, à sa grande surprise, qu'ils sont « chiites ». « Je mène mon enquête et je réussis à me procurer les documents du registre d'état civil. Les papiers étaient faux. »
Rita explique qu'elle trouve dans ce dossier un papier datant du 28 septembre 2013, c'est-à-dire une semaine après le décès de son mari, dans lequel « le fonctionnaire de l'état civil déclare que mon mari a demandé à ce qu'il soit inscrit comme musulman chiite ». « Or Wassim, poursuit-elle, avait signé après notre mariage un papier chez le notaire dans le cadre duquel il s'engage à résoudre auprès des tribunaux chrétiens compétents tout litige résultant de ce mariage. De plus, le certificat de son décès date celui-ci du 5 octobre 2013. Or j'ai le procès-verbal de la gendarmerie avec la date exacte du décès. »
Rita a confronté son beau-père qui a finalement avoué avoir falsifié les documents, « pour des raisons d'héritage ». Il l'a même menacée de la priver de ses enfants si elle osait s'insurger. Entre-temps, son beau-père a réussi à obtenir du tribunal jaafarite de Baalbeck (le couple est originaire du caza) la garde des enfants. Selon cette décision, Rita est passible de deux mois de prison si elle refuse de les lui donner. Ce qu'elle a fait.
Le problème ? « Ces lois... »
La jeune femme a en fait attendu le moment opportun pour disparaître avec ses enfants. Sa belle-famille lui a fait croire à une « réconciliation ». Ainsi, lors d'une séance au tribunal grec-catholique, son beau-père a déclaré « qu'il se désistait de son droit de tutelle ». « Mais un jour, à la sortie du tribunal, mon avocate et moi avons été poursuivies par mes beaux-frères. » « Nous nous sommes dirigées vers la gendarmerie de Jdeidé, se souvient Rita. Nous avons dit aux gendarmes que ces hommes font l'objet d'un mandat de recherche. Mais au lieu de les arrêter, d'autant qu'ils étaient armés, c'est moi qui ai été menée en prison. »
Et la jeune femme de marteler : « Je ne veux pas que mes enfants grandissent avec de faux papiers. De plus, c'est moi qui dois avoir leur garde et leur tutelle, parce que, tout simplement, je suis leur mère. Je ne veux pas que mes beaux-parents me les prennent. Je ne veux pas que mes enfants grandissent dans cette ambiance où tout se résout avec les armes. Personne ne peut protéger mes enfants mieux que moi. »
« Nous rendons le gouvernement responsable de tous ces drames dont sont victimes les femmes, s'insurge de son côté Zoya Rouhana, directrice de Kafa. Assez de victoires illusoires. La loi sur la violence domestique a été une grande victoire, toutefois provisoire, avec pour objectif d'assurer une protection à toute femme se trouvant en danger. Mais ce sont les lois communautaires concernant le statut personnel qui constituent la principale source de discrimination et de violence contre la femme. »
Leila Awada, avocate et membre de Kafa, insiste de son côté : « Notre problème n'est ni avec un juge ni avec un tribunal, mais avec ces lois communautaires qui gardent la femme sous l'autorité de l'homme. Ce problème ne peut être résolu qu'avec une loi civile de statut personnel qui serait appliquée à tous les citoyens. »
Source: L’Orient Le Jour