d’ici 2030, 69 millions d’enfants seront morts avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans

Le monde a fait d’énormes progrès pour réduire la mortalité des enfants. Mais à moins de renverser la vapeur, d’ici 2030, 69 millions d’enfants seront morts avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans, la plupart dans des pays pauvres.

Quand Kaltum a ressenti les premières contractions, elle a fait comme pour ses sept autres accouchements : elle est restée seule, à la maison.

Elle n’a pas connu la course folle vers l’hôpital, ni le personnel d’expérience qui attend les patientes, prêt à passer à l’action s’il y a des complications, ni l’assistante qualifiée qui évalue la fréquence des contractions ou mesure la dilatation du col de l’utérus. Elle n’a connu qu’une abondance de sang, la nausée et les murs nus de sa résidence temporaire.

Quand sa petite fille a fini par sortir de son ventre, elle était déjà morte. Kaltum n’a pas eu la chance de lui donner un nom ou de la bercer dans ses bras. Elle n’a pas pu demander à un médecin ce qui s’était passé. « C’est la volonté de Dieu et nous devons être patients », voilà ce qu’elle en dit.En 2015, le premier jour sur terre d’environ un million de bébés était aussi leur dernier.

Pour nombre d’entre eux, c’était perdu d’avance. Les chances de survie sont cruellement inégales parmi les enfants durant la petite enfance et l’enfance. Elles dépendent d’une série de facteurs, comme la fortune de leur famille, la nature urbaine ou rurale de leur milieu, leur appartenance au groupe ethnique ou religieux majoritaire dans leur société, et même le niveau de revenus dans leur pays de naissance.

Malgré les progrès mondiaux réalisés dans la réduction de la mortalité chez les moins de 5 ans depuis 1990, les enfants nés en Afrique subsaharienne, où vit Kaltum, sont 12 fois plus susceptibles de mourir avant l’âge de 5 ans que les enfants nés dans les pays à revenus élevés.

Or, on peut prévenir la vaste majorité de ces décès grâce à des interventions bien connues, peu coûteuses et faciles à mener. Les examens réguliers permettent de détecter les complications tôt au cours de la grossesse et d’y répondre avant qu’elles ne coûtent la vie à la mère ou à l’enfant. Les suppléments en micronutriments aident les femmes enceintes à rester en bonne santé et donnent à leur bébé les nutriments dont ils ont besoin pour se développer.

 Les assistants qualifiés et les soins essentiels qu’ils procurent aux mères et aux nouveau-nés lors de l’accouchement peuvent également améliorer de façon spectaculaire les perspectives d’un accouchement sans danger et de la survie de l’enfant dans le premier mois de la vie, souvent fragile, pendant lequel adviennent 45 % des décès d’enfants de moins de 5 ans. Mais l’accès à ces services primaires est d’une extrême inégalité. C’est l’une des raisons qui expliquent les écarts stupéfiants dans les chances de survie pendant les premières années de l’existence.

Souvent, il n’y a tout simplement pas assez de personnel de santé pour assurer aux mères et aux enfants ces services essentiels. Selon une estimation de l’Organisation mondiale de la santé, pour répondre aux besoins primaires, il faut au moins 23 travailleurs ou travailleuses de la santé par tranche de 10 000 personnes. Les pays qui n’atteignent pas ce seuil n’arrivent pas à fournir des soins qualifiés lors des accouchements, en cas d’urgence et dans les services spécialisés qu’exige le soin des bébés.

L’Afrique subsaharienne a 1,8 million de travailleurs ou travailleuses de la santé de moins que ce qu’exigerait sa population. C’est un déficit abyssal. Par conséquent, les femmes de la région ont une chance sur 36 de mourir de complications liées à la grossesse, contre seulement une femme sur 3 300 dans les pays à revenus élevés. Sans une action concertée pour recruter plus de personnel qualifié en santé et le rendre accessible aux gens qui en ont le plus besoin, ce déficit s’élèvera à 4,3 millions au cours des 20 prochaines années, à mesure que la population s’accroîtra. C’est une perspective effrayante pour des millions de femmes comme Kaltum et pour leurs familles et communautés.

Vastes écarts dans la survie des enfants à l’intérieur des pays

Aux quatre coins de la planète, les femmes qui appartiennent aux 20 % de ménages les plus pauvres sont près de deux fois moins susceptibles que celles qui font partie des 20 % les plus riches de profiter des services d’un assistant qualifié lors de leur accouchement. Kaltum appartient aux 20 % les plus pauvres. Dans son quartier, au nord-est du Nigéria, il y a bien une clinique de soins primaires, mais elle ne la fréquente pas par manque de moyens financiers.

 Les enfants des familles les plus pauvres du Nigéria, comme celle de Kaltum, sont plus de deux fois plus susceptibles de mourir avant l’âge de 5 ans que ceux qui appartiennent aux familles les plus riches.

Les statistiques régionales révèlent de vastes écarts à l’intérieur des pays. Même dans les pays les plus riches, les perspectives de santé et de survie des citoyens les plus pauvres et les plus désavantagés peuvent venir loin derrière la moyenne. Aux États-Unis, par exemple, des données de 2013 montrent que les nouveau-nés de parents afro-américains sont plus de deux fois plus susceptibles de mourir que les enfants de parents blancs.
En Europe, les enfants et les familles de la communauté rom ont plus de mal à accéder aux services de santé dont ils ont besoin que la population majoritaire. En 2012, on a trouvé que seuls 4 % des enfants roms de Bosnie-Herzégovine avaient reçu tous les vaccins recommandés, contre 68 % des enfants d’autres communautés. Les effets de cette situation se voient clairement quand on considère leur santé et leur bien-être : un enfant rom de Bosnie-Herzégovine et de Serbie sur cinq est modérément ou sévèrement rachitique.

La survie de l’enfant commence par la santé de la femme

Chez la famille Dervišaj, l’ambiance est à la fête. Ermina et Durmiš viennent tout juste d’accueillir une nouvelle petite fille. En son honneur, des parents ont acheté un nouveau poêle au couple pour les aider à garder leur chambre chaude pendant les durs hivers serbes.
Mais leur bonheur est entaché d’inquiétude. Déjà un mois que la petite Kaja est née, et Ermina ne l’a toujours pas ramenée de l’hôpital. Elle lui rend visite tous les deux jours, et quand elle ne peut s’y rendre, elle appelle l’hôpital de la ligne téléphonique de son père pour savoir comment va le bébé. L’hôpital surveille Ermina de près. Si elle ne montre pas assez d’intérêt pour sa fille, cette dernière pourrait être placée en famille d’accueil.

Les services sociaux considèrent les bébés comme Kaja à risque d’abandon. Prématurée de deux mois, elle a des parents dont les revenus sont faibles, même pour les besoins d’un enfant en santé, encore plus pour une fillette ayant des besoins spéciaux. La situation de Kaja serait peut-être différente si Ermina avait eu accès à des soins de santé quand elle était enceinte. Comme sa grossesse précédente s’est soldée par un enfant mort-né, on lui avait prescrit un médicament pour prolonger la grossesse. Or, elle ne pouvait pas se permettre de le prendre régulièrement. « Quand j’avais de l’argent, je l’achetais. Mais quand je n’en avais plus, je devais attendre. » 
Ermina avait pourtant demandé l’appui du centre d’assistance sociale, qui le lui a refusé. « Je voulais m’inscrire à une soupe populaire, mais on m’a dit que nous étions capables de travailler, et donc inadmissibles. » Comme bien des Roms de Serbie, Durmiš travaille dans l’économie informelle par intermittence, comme éboueur. Ermina s’occupe de leur fils, qui ne va pas encore à l’école. Même si elle voulait travailler hors de la maison, ses perspectives d’emploi restent faibles. Le taux de chômage officiel est de 18,5 % en Serbie, et Ermina n’a même pas fréquenté l’école primaire. 
Ermina et son mari travaillent dur pour subvenir aux besoins de leurs enfants. Dans un vieux quartier de Belgrade, ils partagent avec la famille de Durmiš une maison à un étage acquise au terme de 9 ans d’épargne résolue. Toute la famille a contribué à bâtir une pièce après l’autre, à mesure qu’elle en avait les moyens. À ce jour, seules deux pièces ont été construites, mais la famille ne peut payer les 1 000 euros que coûte le branchement au réseau d’électricité. .
Le jeune couple n’arriverait pas à survivre sans le soutien de sa famille étendue. Mais privés de l’aide plus vaste de la communauté, Ermina et son mari continueront d’avoir du mal à assurer un meilleur avenir à David et Kaja. Parce qu’ils sont roms, leurs enfants ont moins de chance que la moyenne des Serbes de tout simplement survivre. 
Grâce aux efforts concertés du gouvernement, des agences internationales et des ONG, cette perspective s’améliore petit à petit, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir. Ermina peut en témoigner. Elle a grandi pendant la guerre civile. Aujourd’hui, la Serbie connaît une période de paix. Et pourtant, elle dit que ses enfants n’ont pas de meilleures perspectives pour autant. 

Factographie

Le personnel de santé communautaire fait une différence

Dans un parc à caravanes à la périphérie de Belgrade, Sonja Selimović se sent plus optimiste. Dans le parc, il y a de l’eau courante, des toilettes et de l’électricité. Elle y vit depuis 6 ans, quand le gouvernement a démantelé son ancien quartier, en ville, un « amas de boîtes de carton », comme elle le décrit, sans électricité ni eau.

Sonja raconte comment sa vie a changé grâce à une médiatrice rom en santé, Vesna Jovanović, qui visite son quartier tous les deux jours. « Vesna nous a beaucoup aidés. Pas seulement moi, mais tout le monde. »

Vesna s’efforce de relier les familles roms aux services de santé et aux services sociaux. La Serbie compte 75 médiateurs qui travaillent aux quatre coins du pays et sont eux aussi des Roms, parlant donc le romani et comprenant les préoccupations de la communauté, y compris leurs doutes face à l’État et à ceux et celles qui travaillent pour l’État. Vesna explique qu’en tant qu’employée de l’État, elle a eu du mal à inspirer confiance à la communauté quand elle a commencé ce travail il y a 5 ans. « Les gens étaient très sceptiques au début. Ils me chassaient de chez eux. Ils ne voulaient même pas me parler. »
Petit à petit, Vesna a réussi à prouver sa valeur. En coordination avec le centre de soins primaires, elle a associé des infirmières, des pédiatres et des gynécologues à ses visites. Aujourd’hui, bien des résidents de quartier comptent sur elle pour les aider à s’y retrouver dans le réseau complexe de services de santé et de services sociaux qu’ils trouvent souvent hostiles et discriminatoires. 
« Vesna est comme une mère ou une sœur pour nous, raconte Sonja. On peut l’appeler au milieu de la nuit et elle viendra sans se faire prier. » Vesna aide la communauté à remplir les formalités administratives pour accéder aux services, fait les appels nécessaires en leur nom et les accompagne même parfois à la clinique ou à l’hôpital. Quand Sonja ne comprend pas bien les instructions du médecin, elle se tourne vers Vesna. « Elle m’explique toujours ce que le médecin n’a pas eu le temps de m’expliquer. »
Avant de rencontrer Vesna, Sonja, qui est à présent mère de deux enfants, a passé 13 ans à essayer de devenir enceinte. Elle pense que Vesna a fait une différence en la reliant aux services d’un médecin qualifié. « Si ce n’avait été d’elle, je suis sûre que je n’aurais pas eu d’enfants. »
Le personnel de santé communautaire comme Vesna fait toute une différence. Dans les communautés qui ont plus de mal à accéder aux services dont ils ont besoin, comme les Roms d’Europe, ainsi que dans les pays à revenus faibles ou moyens qui peinent à mettre en place des systèmes solides de santé en mesure de répondre aux besoins des populations les plus pauvres et les plus éloignées, les interventions de santé communautaire ont été un moteur essentiel de progrès dans la survie des enfants. 
Le personnel de santé communautaire augmente la portée des soins de santé et relie les plus vulnérables aux interventions peu coûteuses, mais à grande incidence, en matière de santé maternelle, infantile et juvénile. Cependant, pour en recruter davantage et mieux servir les plus nécessiteux, il faut faire des choix délibérés pour adopter des politiques, diriger des dépenses publiques et mettre en œuvre des programmes de santé qui répondent aux besoins des enfants les plus désavantagés.

Source : UNICEF